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FORFAIT JOUR, « De la bonne idée au dérapage incontrôlé »


1 juillet 2014



La question du temps de travail des salariés est un sujet récurrent devant être traité dans l’entreprise et adapté en fonction de son activité, de ses besoins et des missions des salariés.

Le forfait jour peut répondre à un besoin de souplesse, disponibilité et autonomie. Très encadré et réglementé, cette facilité validée par le droit Français (pour combien de temps ?) ne doit pas occulter certaines règles essentielles sous peine d’annulation.

 

A – Définition.

Salarié et employeur conviennent que le salarié travaillera X jours, au plus 218 dans l’année, sans autre contrainte horaire. Il n’y a alors plus lieu de distinguer temps de travail effectif, du temps de pause ou de déplacement etc…

 

B – Salariés éligibles.

B1 : le cadre disposant d’une autonomie dans l’organisation de son emploi du temps et dont la nature des fonctions le conduit à ne pas suivre l’horaire collectif de travail.

B2 : les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie pour l’organisation de leur emploi du temps.

L’autonomie du salarié dans l’organisation du travail est une condition essentielle de validité du forfait jour.

 

C – Conditions de mise en place.

C1 : Un accord collectif. La convention de forfait jour pour être mise en place suppose qu’un accord de branche, une convention de branche, ou un accord d’entreprise ou d’établissement le prévoit expressément.

C2 : l’accord doit prévoir obligatoirement :

  • les catégories de salariés pouvant conclure une convention de forfait.
  • Les modalités de décompte des demi-journées et journées de travail.
  • Les modalités de prise des journées de repos.
  • Le suivi des repos quotidiens et hebdomadaires.
  • Le rappel de l’interdiction du travail plus de 6 jours par semaine.
  • Les modalités de suivi de l’organisation du travail des salariés concernés
  • Le suivi de l’amplitude de la journée de travail et la charge de travail des salariés concernés.

La Cour de Cassation ajoute que l’accord collectif doit prévoir des clauses assurant la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des temps de repos quotidiens et hebdomadaires. (soc 29 Juin 2011).

C3 : Le nombre maximal de jours travaillés est de 218 jours sur 12 mois.

L’accord peut prévoir des jours complémentaires travaillés dans la limite de 235 jours. Toutefois le salarié doit donner son accord écrit pour travailler au-delà de 218 jours. Il s’agit alors d’heures dont le taux horaire est majoré de 10% au minimum.

C4 : L’accord express du salarié est nécessaire. Sans écrit et sans signature du salarié il n’y a pas de clause de forfait jour valable.

 

D – Suivi.

L’entreprise n’est pas dispensée d’assurer le suivi du temps de travail du salarié. En effet, l’entreprise doit assurer le suivi des jours travaillés, et des jours de repos. L’entreprise doit de même s’assurer que le salarié bénéficie bien du repos journalier de 11h et du repos hebdomadaire de 35h. Un document de suivi doit dès lors être établi. De même l’entreprise doit vérifier que la charge de travail du salarié n’est pas trop importante et ne le conduit pas à négliger les périodes de repos. A ce titre, il est désormais obligatoire d’organiser un entretien annuel de suivi de l’organisation du travail, de la charge de travail et l’amplitude de la journée de travail.

 

E – Dérapages.

Le forfait jour est un bel outil permettant aux entreprises de simplifier dans un premier temps la question de la gestion du temps de travail pour les salariés autonomes dans leurs fonctions. Toutefois les obligations de suivi doivent être respectées scrupuleusement. En cas de non respect de ces obligations, les juridictions annulent purement et simplement la clause de forfait jour et font alors application du droit commun des heures supplémentaires.

L’entreprise n’ayant aucun document de suivi du temps de travail, il en résulte alors le plus souvent :

  • Un substantiel rappel de salaires pour heures supplémentaires outre les congés payés.
  • Le paiement de la contrepartie en repos outre les congés payés.
  • Et la condamnation à des dommages et intérêts pour travail dissimulé de 6 mois de salaire forfaitaire.

Le suivi de l’application du forfait jour est donc essentiel et les clauses de l’accord collectif et du contrat de travail doivent être respectées à la lettre !

 

F – Perspectives.

Le Conseil Européen des Droits Sociaux, dont l’objet est de veiller à l’application de la Charte Sociale Européenne (3 Mai 1996), rappelle depuis déjà 14 ans que le Forfait Jour Français n’est pas conforme au droit Européen !

Le 6 avril 2011 le Comité des Ministres au Conseil de l’Europe a de même rappelé à la France que le Forfait Jour n’est pas conforme à la législation Européenne et a invité la France à faire évoluer sa réglementation. La Cour de Cassation pour sa part ne s’est à ce jour pas prononcée sur l’application directe de la Charte Européenne et a toujours éludé la question de la validité du Forfait Jour au regard du Droit Européen.

Il est néanmoins certain que le Forfait Jour est un mécanisme menacé à terme. Il pourra s’agir soit d’une évolution législative soit d’un revirement de jurisprudence qui pourrait s’avérer extrêmement dangereux pour les entreprises puisque applicable immédiatement !

La prudence commande en conséquence d’envisager dès à présent d’autres modes de gestion du temps de travail dans les entreprises.

 

Philippe Salmon Avocat
Philippe SALMON

Avocat

SALMON & Associés
www.altajuris-caen.com

 

Mise en ligne : 01/07/2014




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