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Gaz de schiste : les grandes manœuvres


17 novembre 2014



L’exploration et l’exploitation de gaz de schiste par la technique de la fracturation hydraulique est interdite par la loi du 13 juillet 2011 en raison des risques que présente cette technique pour l’environnement. Cela n’empêche cependant pas de mener des opérations de prospection, dès lors qu’elles ne visent pas à utiliser la technique de la fracturation hydraulique.

Cette prospection doit être autorisée par l’attribution d’un permis de recherche. Le permis de recherche est accordé à l’issue d’une procédure[1] qui impose la publication de la demande de permis de recherche au JOCE ou au JORF (lequel ouvre le délai pendant lequel des entreprises concurrentes peuvent se déclarer sur le territoire ciblé) ainsi que, depuis 2012, une publication au public pendant 30 jours, par voie électronique et dans des conditions lui permettant de formuler ses observations. Le permis d’exploration est ensuite accordé par arrêté ministériel, publié au JORF.

C’est au milieu de la consultation publique dont faisait l’objet la demande de permis de recherche dans le parc naturel régional du Lubéron, et qui avait donné lieu à une forte mobilisation contre le projet, que la ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal, a expressément indiqué, le 6 octobre dernier, que le permis ne serait pas accordé[2].

Néanmoins, les conditions d’octroi de ces permis suscitent des difficultés. Le 12 mars dernier, le tribunal administratif de Melun avait interdit un forage d’exploration pétrolière à Nonville (Seine-et-Marne), sans pour autant annuler le permis de recherche[3]. Le problème est que les entreprises d’exploration assurent qu’elles ne veulent pas exploiter du gaz de schiste par fracturation hydraulique, mais parallèlement elles effectuent des prélèvements dans des zones où, précisément, peut se trouver du gaz de schiste. Ainsi, en 2013, la société « Hess Oil avait déjà procédé à un forage contesté à Jouarre (Seine-et-Marne), sans fracturation hydraulique mais en creusant jusqu’à 2 918 mètres sous terre. Des carottes de terre avaient ainsi été prélevées, notamment entre 2 250 mètres et 2 785 mètres, dans la roche-mère du lias, la couche géologique où peut se trouver du pétrole de schiste »[4]. Autrement dit, il semblerait que les forages visent en fait à découvrir des informations sur des gisements d’hydrocarbures qui ne peuvent pas être exploités sans fracturation hydraulique. Il s’agit donc clairement de contourner l’interdiction des forages visant à exploiter la technique de la fracturation hydraulique…

Dans ces conditions, la consultation du public ne paraît pas loyale. Comme l’explique Olivier Gourbinot, juriste au sein de la fédération France Nature Environnement (FNE), « on ne peut pas parler d’acceptation tant que n’est pas garantie la transparence des projets miniers et l’évaluation de leurs impacts pour l’environnement et les populations concernées. Il faut arrêter de délivrer des autorisations sur le fondement de règles dépassées et imposer aux industriels de décrire le plus en amont possible les méthodes et techniques qu’ils vont mettre en œuvre. Ce n’est qu’à cette condition que le public pourra véritablement se prononcer »[5].

Le projet de réforme du Code minier semble tenir un peu compte de ces difficultés, en prévoyant notamment la possibilité de renforcer la consultation du public, mais seulement « à titre dérogatoire et exceptionnel », ainsi que l’élaboration d’un « schéma national minier de valorisation et de préservation du sous-sol »[6]. Toutefois, ce projet de loi, initialement prévu fin 2012, a été reporté au printemps 2014, puis à l’été avant qu’Arnaud Montebourg n’indique, le 10 juin, qu’il serait déposé au Parlement au début de l’automne. On attend toujours. Les enjeux sont pourtant considérables. Il s’agit d’éviter que des entreprises privées s’accaparent les richesses du sous-sol et de faire en sorte que celles-ci profitent à la collectivité nationale. Car l’accaparement des terres[7] ou des semences[8], comme celle des ressources du sous-sol, n’est rien moins qu’une nouvelle forme de colonisation…

[1] http://www.developpement-durable.gouv.fr/Comment-se-deroule-la-procedure-d.html

[2] http://abonnes.lemonde.fr/planete/article/2014/10/07/segolene-royal-refuse-les-forages-dans-le-parc-du-luberon_4502135_3244.html#xtor=AL-32280270

[3] http://abonnes.lemonde.fr/planete/article/2014/03/12/la-justice-interdit-un-forage-decrie-par-les-anti-gaz-de-schiste_4381667_3244.html

[4] http://abonnes.lemonde.fr/planete/article/2014/03/12/la-justice-interdit-un-forage-decrie-par-les-anti-gaz-de-schiste_4381667_3244.html

[5] Cité in art. préc., http://www.actu-environnement.com/ae/news/code-minier-reforme-point-mort-automne-parlement-segolene-royal-22253.php4

[6] http://www.actu-environnement.com/ae/news/projet-code-minier-tuot-participation-public-20178.php4

[7] Hold-up sur l’alimentation, Comment les sociétés transnationales contrôlent l’alimentation du monde, font main basse sur les terres et détraquent le climat, éd. CETIM et GRAIN, spéc. p. 130 et s. ; S.Yamthieu, Accaparement des terres dans le monde : données récentes, blog Lascaux, https://programmelascaux.wordpress.com/2012/04/20/accaparement-des-terres-dans-le-monde-donnees-recentes/

[8] A. Quin, La « Grande Transformation » des semences, https://hal.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/929905/filename/AQ_PUDA_2013.pdf

 

 

 

Annabel QUIN
Maître de conférences à l’Université de Bretagne-Sud
Ancienne avocate au Barreau de Paris

Mise en ligne : 17/11/2014

 





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