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La législation procédurale en matière hypothécaire espagnole et la réglementation européenne concernant les consommateurs.


4 avril 2016



L’Union Européenne a les yeux posés sur la législation hypothécaire en Espagne. Particulièrement, dans la procédure d’exécution hypothécaire, qui a acquis une grande importance sociale suite à la crise économique aigüe des dernières années. Le point initial fut la Sentence du Tribunal de l’Union Européenne (STJUE), Première Salle, du 14 mars 2013 (affaire C-415/11), dictée à l’instance du Tribunal du Commerce nº 3 de Barcelone.

Il s’agit du fameux « Cas Aziz ». Un ouvrier d’origine marocaine fut délogé de sa maison, en pleine crise économique, suite à une procédure d’exécution hypothécaire pour avoir cessé de payer certaines traites de son hypothèque. Mr. Aziz interposa alors une demande afin d’annuler le processus d’exécution et le Tribunal auquel l’affaire fut assignée (Tribunal du Commerce nº 3 de Barcelone) souleva une question pré-judiciaire par-devant le TJUE, au cas où la législation espagnole pourrait porter atteinte aux droits du consommateur à l’abri de ce qui est stipulé dans la Directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats célébrés avec les consommateurs.

 

La question pré-judiciaire avait pour objet éclaircir : (i) si le système d’opposition à l’exécution que prévoit la loi procédurale espagnole, supposait une limitation aux droits du consommateur ; (ii) s’il était disproportionné ; a) considérer comme expiré un contrat projeté dans un grand laps de temps, à cause des non accomplissements produits dans une courte période, b) convenir des intérêts de retard supérieures à 18% applicables non seulement aux traites échues, mais aussi à la totalité des traites dues à cause de l’expiration anticipée, et c) fixer des mécanismes de liquidation et de calcul des intérêts, de façon qu’il n’était pas permis au consommateur d’effectuer une opposition sur la quantification de la dette.

 

La sentence considéra que la législation procédurale espagnole en matière d’exécution hypothécaire était contraire à la réglementation communautaire, pour les motifs suivants :

 

A) Parce qu’elle ne prévoyait pas la possibilité de formuler des motifs d’opposition fondamentaux contre le caractère abusif d’une clause contractuelle qui est le fondement du titre exécutif.

 

B) Parce qu’elle ne permettait pas que le Juge connaisse la déclaration face à laquelle le consommateur aurait présenté une demande signalant le caractère abusif d’une clause qui est le fondement d’un titre exécutif, et que le juge puisse demander des mesures conservatoires afin de suspendre la procédure exécutive, pour garantir la pleine efficacité de sa décision.

 

Ladite STJUE considère également que les clauses relatives à l’expiration anticipée dans les contrats à longue durée, à la fixation des intérêts de retard et à la liquidation unilatérale de la dette impayée, ont un caractère abusif.

 

Quant à la clause concernant l’expiration anticipée, elle affirme que le juge national devra vérifier tout spécialement si cette faculté dépend du fait que le consommateur ait inaccompli une obligation essentielle du contrat, et si l’inaccomplissement résulte suffisamment grave au sujet de la durée et du montant du prêt.

 

Quant à la clause de la liquidation unilatérale de la dette, la sentence indique que le juge national peut effectivement déterminer dans quelle mesure, celle-ci pose des difficultés pour que le consommateur ait accès à la justice et à l’exercice de son droit de défense, compte tenu des moyens procéduraux dont il dispose.
La STJUE du 14/3/2013 eut une répercussion immédiate dans la législation espagnole. Soit, la Loi 1/2013 du 14 mars, concernant les mesures pour renforcer la protection des débiteurs d’hypothèque, modifia, entre autres points, certains articles de la Loi de la Procédure Civile (LEC) en matière d’exécution hypothécaire. Concrètement, l’article 695 LEC qui a introduit (dans son alinéa 1, cause 4) comme cause d’opposition, le caractère abusif de la clause contractuelle qui constitue le fondement de l’exécution ou qui ait pu déterminer le montant exigible. Et, en relation avec ce qui précède, l’alinéa 1 de l’article 552 LEC, qui permettait au Juge d’examiner d’office la possible existence de clauses abusives.

 

Loin d’être un chemin satisfaisant, il a été rapidement constaté que la réforme était restée courte, ce qui a obligé à une nouvelle réprimande du TJUE. La STJUE (Salle Première) du 17 juillet 2014 (affaire C-169/14) disposa, en s’appuyant une fois de plus sur la Directive 93/13/CEE, que la procédure d’exécution était contraire à la réglementation européenne dans le sens que le consommateur ne pouvait pas recourir en appel contre la résolution qui rejetait son opposition à l’exécution; tandis que le professionnel, créancier exécutant, pouvait effectivement interposer un recours en appel contre la résolution qui accordait le non-lieu de l’exécution ou qui déclarait la non application d’une clause abusive.

 

La réponse du législateur espagnol ne s’est pas fait attendre, mais une fois de plus celle-ci n’a pas été satisfaisante, pas autant par son contenu, mais plutôt par la forme et les circonstances. Ladite réponse consiste en l’introduction d’une Disposition finale (troisième) dans le Décret-loi Royal 11/2014, du 5 décembre, concernant les mesures urgentes en matière d’insolvabilité. Dans ladite disposition, on modifiait l’alinéa 4 de l’art. 695 de la LEC, dans le sens d’étendre également le cadre du recours en appel en matière d’exécution aux résolutions judiciaires en première instance qui rejettent l’opposition basée sur le caractère abusif d’une clause contractuelle qui constitue le fondement de l’exécution ou qui ait déterminé le montant exigible.

 

Cette nouvelle modification de la LEC posait une question transcendante de régime transitoire : comment appliquer cette modification aux procédures en cours, qui ne soient pas encore terminées avec la mise à disposition de l’immeuble à l’acquéreur après la vente aux enchères obligatoire. Bien, la Disposition Transitoire 4ème du Décret-loi Royal 11/2014 établit que, dans de tels cas : (i) les parties disposeraient d’un délai d’un mois pour formuler le recours en appel, (ii) ce délai serait calculé à partir du jour suivant à l’entrée en vigueur du RDL, et la publicité de cette disposition légale aura, un caractère de communication pleine et valable aux effets de notification, n’étant pas nécessaire en aucun cas de dicter une résolution expresse à cet effet.

 

Cette nouvelle réforme paraît être faite en rechignant et avec un désir évident de passer inaperçue, en utilisant une technique législative plus que discutable. Autrement, il est inexplicable qu’elle apparaisse publiée dans une Disposition Transitoire d’un Décret-loi Royal dicté avec un caractère urgent en matière d’insolvabilité (soit, complètement hors de la question juridique objet de la réforme), un samedi du mois de septembre. Dans de telles circonstances, on comprend facilement que la possibilité pour le consommateur se trouvant dans une procédure d’exécution hypothécaire, de s’apercevoir de l’existence de cette modification transcendante est pratiquement nulle. Quelques mois plus tard, la Disposition Finale 3 de la Loi 9/2015, du 25 mai, concernant les mesures urgentes en matière d’insolvabilité, réitérait ce qui avait été manifesté dans le RDL 11/2014, concernant le fait d’offrir la possibilité pour la personne exécutée de recourir en appel.

 

Le Tribunal de Justice Européen, dans une récente STJUE (Salle Première) du 29 octobre 2015 (affaire C-8/14) a dû à nouveau aller au-devant de cette « réforme expresse » en déclarant que cette disposition est contraire – une fois de plus – à la réglementation européenne des consommateurs, car le « dies a quo » du délai mensuel prévu pour recourir ne prévoit pas la notification personnelle et individuelle aux personnes intéressées.

 

La Sentence réalise le raisonnement suivant : si la Loi 1/2013, avant citée, permettait aux consommateurs qu’ils soient informés moyennant une notification individuelle, qui leur a été dirigée personnellement, qu’ils avaient la possibilité, même si le délai d’opposition était échu, de dénoncer l’existence de clauses abusives, dans un délai déterminé, maintenant les consommateurs ne peuvent pas raisonnablement attendre, sur base des principes de défense, de sécurité juridique et de protection du principe de la confiance juridique, qu’il leur soit concédé une nouvelle possibilité de formuler un incident d’opposition sans en avoir été informés par voie procédurale (soit, de façon personnelle), par laquelle ils ont reçu l’information initiale.

 

Il est grand temps de faire les choses avec une plus grande rigueur juridique, de promulguer une législation hypothécaire plus juste et équitable, en accord avec les principes établis dans l’Union Européenne en matière de consommateurs et usagers, afin que le législateur espagnol ne se trouve pas dans le mauvais pas de devoir modifier de façon continue la réglementation hypothécaire en matière d’exécution, face au regard stupéfait du reste de la communauté européenne et internationale.

 

 

 

 

JOSEP GUARDIA VIDAL
Avocat Associé
LERYCKE ADVOCATS, S.L.P.

 

Mis en ligne: 04/04/2016





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