ARTICLES

Nouvelle règle prétorienne pour les recours contre les décisions administratives individuelles ne mentionnant pas les délais et voies de recours : le délai raisonnable de recours est en principe d’un an


21 décembre 2016



Selon le Conseil d’Etat, le principe de sécurité juridique « implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps », de sorte qu’il « fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci en a eu connaissance ».

Dans le but d’améliorer les relations entre l’administration et ses usagers, une des dispositions du décret du 28 novembre 1983, désormais insérée tant à l’article R.104 du Code des tribunaux administratifs qu’à l’article R.421-5 du Code de justice administrative, prévoit que « les délais de recours contre une décision déférée au tribunal ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ». Cette obligation d’information sur les voies et délais de recours mise à la charge de l’administration est une conquête qui est loin d’être négligeable ; elle « constitue en pratique un droit très important pour les usagers et spécialement pour ceux qui, soit sont en situation de précarité, soit ne disposent pas des compétences pour savoir comment il est possible de contester une décision de l’administration. (…) Elle est en outre peu contraignante pour l’administration et la majeure partie des logiciels d’aide à la rédaction de décisions administratives contiennent désormais dans leurs modèles un paraphe prérédigé en ce sens. Cela signifie par conséquent que lorsque l’administration ne respecte pas cette obligation c’est, comme le relevait un commissaire du gouvernement près le Conseil d’Etat, un élément de « stratégie contentieuse » » (F. Rolin, Demande d’abrogation de la norme contenue dans la décision du Conseil d’Etat rendue le 13 juillet 2016, Blog Droit administratif, 14 juillet 2016). Sans entrer dans ces suppositions, il est vrai que la disposition précitée vise à protéger les usagers.

 

Or, en l’espèce, un brigadier de police s’était vu notifier en 1991 un arrêté lui concédant une pension de retraite, mais cette notification ne comportait pas toutes les mentions requises : elle précisait que l’intéressé pouvait former un recours en annulation dans le délai de deux mois suivant la notification, mais elle n’indiquait pas la juridiction compétente. Le brigadier a formé un recours devant le tribunal administratif en … 2013 !

 

Le tribunal administratif a rejeté sa demande au motif que les délais et voies de recours avaient été notifiés, de sorte que l’article R.421-5 du Code de justice administrative devait s’appliquer. Autrement dit, il n’y avait pas d’irrégularité dans la notification, bien que la juridiction compétente pour statuer n’ait pas été mentionnée. Or, cette décision est censurée par le Conseil d’Etat (CE Ass., 13 juillet 2016, N° 387763) qui estime que la notification doit, pour respecter les exigences posées par l’article R.4215 du Code de justice administrative, mentionner la juridiction compétente pour statuer. En effet, pour le Conseil d’Etat, ce texte impose de « mentionner, le cas échéant, l’existence d’un recours administratif préalable obligatoire ainsi que l’autorité devant laquelle il doit être porté ou, dans l’hypothèse d’un recours contentieux direct, indiquer si celui-ci doit être formé auprès de la juridiction administrative de droit commun ou devant une juridiction spécialisée et, dans ce dernier cas, préciser laquelle ».  

 

Mais si la notification était bien irrégulière, le Conseil d’Etat n’en a pas pour autant déduit que le recours était recevable. Pour le rejeter, le Conseil d’Etat va interpréter les dispositions de l’article R.421-5 du Code de justice administrative au regard du principe de sécurité juridique qui, selon lui, « implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps », de sorte qu’il « fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci en a eu connaissance ». Par conséquent, le Conseil d’Etat déduit de ce principe de sécurité juridique, dans l’hypothèse où la notification n’a pas été régulière et où, par conséquent, les délais de recours ne peuvent pas être opposés au destinataire de la décision, que ce dernier « ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable ». Et il fixe la durée de ce délai raisonnable à un an, sauf si le requérant peut se prévaloir de circonstances particulières ou si un texte spécial prévoit un délai plus long.

 

On relèvera par ailleurs que le point de départ du délai raisonnable de recours est, selon le Conseil d’Etat, « la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou (…) la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance ». Ce second point de départ conduit à remettre en cause la jurisprudence « qui opérait un découplage logique entre connaissance de la décision et connaissance des voies et délais de recours ouverts contre cette décision » (P. Caille, Le recours déraisonnable à la notion de délai raisonnable de recours : ô sécurité juridique, que de libertés prises en ton nom !, Note sous CE Ass., M. A. c/ Ministre de l’économie et des finances, n.387763, Revue générale du droit, juillet 2016).

 

Reste à se demander quelle sera la portée de cette décision. Faut-il la limiter aux prescriptions de l’article R.421-5 du Code de justice administrative ou bien l’étendre aux dispositions de l’article R.421-3 ? Il en résulterait, contrairement à la formule claire de cette disposition, que l’exigence d’un délai « raisonnable » devrait limiter « le droit d’agir contre une décision implicite lorsqu’il s’agit d’un contentieux de pleine juridiction, lorsque le recours en excès de pouvoir est exercé contre une décision ne pouvant être prise que par une décision ou sur avis d’une assemblée locale ou de tout autre organisme collégial, ou lorsque la réclamation tend à obtenir l’exécution d’une décision de la juridiction administrative » (P. Caille, art. préc.).

 

En attendant de pouvoir mieux mesurer la portée de cette nouvelle jurisprudence, il convient de relever que la théorie de la décision confirmative (en vertu de laquelle une décision confirmative n’est en principe pas susceptible de recours) peut aussi venir limiter la possibilité de former un recours dans un délai raisonnable. En effet, « les administrés, engagés dans un dialogue ou dans un échange d’écrits avec l’administration  qui peut durer des mois sinon des années -, ne savent pas toujours que le premier écrit reçu peut comporter une décision administrative susceptible de n’être que confirmée dans les écrits suivants », ce qui risque de les encourager « à former sans attendre un recours contentieux » (A. Gossement, Décisions administratives individuelles et principe de sécurité juridique : en l’absence d’information sur les délais et voies de recours, le délai raisonnable de recours est, en principe, d’un an (Conseil d’Etat), Blog Cabinet d’avocats Gossement, 16 juillet 2016). Gageons que les avocats spécialisés en droit public sauront les conseiller sur ce point.     

 

 

 

 

 

Annabel QUIN,

Maître de conférences à l’Université de Bretagne-Sud

Ancienne avocat au Barreau de Paris

 

 

 Mise en ligne: 21/12/2016





LES AVOCATS ALTA-JURIS