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Un fonds destiné à l’habitation est enclavé lorsqu’on ne peut pas y accéder en voiture


12 septembre 2016



Selon l’arrêt de la 3ème chambre Civile de la Cour de Cassation du 14 janvier 2016, « l’accès par un véhicule automobile correspond à l’usage normal d’un fonds destiné à l’habitation ». 

En vertu de l’article 682 du Code civil, le propriétaire d’un fonds enclavé peut réclamer à son voisin un passage suffisant pour assurer la desserte complète de son fonds, à charge d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner. Il en est ainsi lorsque le fonds « n’a sur la voie publique aucune issue, ou qu’une issue insuffisante, soit pour l’exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d’opérations de construction ou de lotissement ».

 

En l’espèce, les propriétaires d’un fonds accédaient auparavant à leur terrain, sur lequel ils avaient édifié une maison d’habitation, par un chemin appartenant à leur voisin. Or, après que ce dernier en ait fermé l’accès, ils ne pouvaient plus accéder à leur propriété qu’en utilisant un escalier escarpé de quatre-vingt-dix-neuf marches. Ils sollicitèrent alors un droit de passage au motif que leur fonds était enclavé.

 

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence les débouta de leur demande au motif que le fonds n’était pas enclavé puisqu’il était desservi par un escalier extrêmement pentu et que, si l’approche de la maison en véhicule était impossible par cet escalier, l’accès à la propriété restait possible moyennant certains aménagements. Il est vrai que, lorsque l’article 682 du Code civil envisage l’hypothèse d’une issue insuffisante sur la voie publique, c’est en fonction de l’activité économique menée sur le fonds (une exploitation agricole, industrielle ou commerciale ou bien la réalisation d’opérations de construction ou de lotissement). Le texte ne se réfère pas à l’hypothèse d’un fonds destiné à l’habitation.

 

Cependant, d’une part, la Cour de cassation ne se limite pas à une lecture littérale de ce texte et tient compte de l’usage d’habitation d’un fonds pour apprécier son état d’enclave (Cass. Civ. 3, 19 mai 1993, n° 91-14819). En effet, ce qui importe, c’est que l’issue soit insuffisante compte tenu de la destination du fonds dominant, quelle que soit celle-ci, et la destination d’habitation n’est pas « moins digne d’intérêt que l’affectation agricole, commerciale ou encore industrielle visée par le texte » (A. Tadros, L’usage du fonds dominant et la servitude d’enclave, Rev. Des contrats, juin 2016, p. 337 et suiv.). D’autre part, la Cour de cassation décide que l’accès avec une voiture automobile correspond à l’usage normal d’un fonds destiné à l’habitation (Cass. Civ. 3, 19 mai 1993, déc. préc.).

 

Dès lors, il n’est pas étonnant de voir la décision de la Cour d’appel être censurée par la Cour de cassation dans un arrêt rendu par la 3ème chambre civile le 14 janvier 2016 (n° 14-25089 ; A. Tadros, art. préc.), au motif que « l’accès par un véhicule automobile correspond à l’usage normal d’un fonds destiné à l’habitation ». 

 

Toutefois, l’état d’enclave ne devrait pas être reconnu si un accès suffisant à la propriété pouvait être obtenu moyennant certains aménagements. En effet, « si le propriétaire d’un fonds, qui s’estime enclavé, peut créer une issue sur la voie publique en aménageant celui-ci, l’état d’enclave n’existe plus et l’établissement de la servitude de passage n’a plus d’objet. Autrement dit, l’établissement d’une servitude d’enclave ne devrait – ne doit ? – être envisageable que lorsque toutes les autres voies permettant de créer un accès sur la voie publique depuis le fonds prétendument enclavé ont été explorées » (A. Tadros, art. préc.).

 

 

 

 

 

Annabel QUIN,

Maître de conférences à l’Université de Bretagne-Sud

Ancienne avocat au Barreau de Paris

 

 

 Mise en ligne: 12/09/2016





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