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Un pacte de préférence est nul pour indétermination du prix lorsque les directives données à l’expert pour évaluer le prix ne précisent pas suffisamment les critères retenus pour procéder à cette évaluation


29 août 2016



La Cour de Cassation a confirmé sa jurisprudence antérieure : nullité du pacte de préférence en cas de manque de précision des critères de détermination du prix, ce dernier n’étant dès lors pas déterminable.

Dans le secteur de la grande distribution, les réseaux s’efforcent d’éviter que l’un de leurs membres soit racheté par un réseau concurrent, notamment en concluant un pacte d’actionnaires extrastatutaire imposant aux exploitants du centre de distribution qui entendraient céder leurs titres l’obligation de les proposer par priorité aux associés minoritaires, qui sont par ailleurs également membres du réseau de distribution. Cela permet de conserver le centre de distribution au sein du réseau. Tel était le cas dans l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 5 janvier 2016 (n° 14-19584 ; E. Schlumberger, La nullité d’un pacte de préférence pour indétermination du prix, Bull. Joly Sociétés juin 2016, p.21 et suiv.), où les exploitants, affiliés au mouvement Leclerc, avaient consenti un tel pacte de préférence au profit d’actionnaires minoritaires, en prévoyant qu’à défaut d’accord entre les parties, le prix serait fixé par un expert suivant certaines modalités dont nous reparlerons plus tard.

 

Par conséquent, le projet de cession a été notifié aux minoritaires, conformément au pacte de préférence, ce qui déclencha la désignation d’experts aux fins de fixer le prix de cession.

 

Cependant, alors que cette procédure suivait son cours, le bailleur, qui avait donné congé à la société exploitante (dont la majorité des titres devaient être cédés), a conclu un protocole transactionnel prévoyant la reprise du bail par un concurrent de la société exploitante, moyennant le paiement d’un droit d’entrée pratiquement équivalent à l’indemnité d’éviction accordée à la société locataire. Ce faisant, le concurrent, désormais titulaire du bail commercial, avait atteint son objectif (prendre le contrôle du centre de distribution) et n’avait plus d’intérêt à acquérir les actions de l’ex-société locataire ; il retira donc son offre d’acquisition.

 

Pour les minoritaires qui entendaient préempter les titres de l’ex-société exploitante, ce protocole faisait suspecter une entente entre le bailleur et le repreneur, permettant le transfert du bail d’un réseau à un autre, en fraude du pacte de préférence. Ils demandèrent donc l’annulation du protocole.

 

Les exploitants répliquèrent en formant une demande reconventionnelle en annulation du pacte de préférence, en raison de l’indétermination du prix de cession fixé dans ce pacte.

 

A priori, cette solution peut surprendre. Comme le rappellent les minoritaires dans un des moyens du pourvoi, la jurisprudence décide que la prédétermination du prix du contrat de vente envisagé n’est pas une condition de validité du pacte de préférence, à la différence de ce qui est exigé en cas de promesse de vente.

 

Cependant, les parties peuvent en décider autrement et faire du prix d’exercice de la préférence un élément essentiel du pacte. Or, il en est ainsi lorsque les parties choisissent d’encadrer la mission du tiers évaluateur chargé de fixer le prix de cession. Dans ce cas, les parties doivent déterminer avec suffisamment de précision les modalités de détermination du prix, sous peine de nullité de leur convention.

 

Or, en l’espèce, les experts, auxquels il était reconnu « tout pouvoir d’investigation », devaient néanmoins « veiller plus particulièrement, en ce qui concerne l’évaluation du fonds de commerce, à rechercher tous éléments de comparaison avec des fonds similaires dans la région ou des régions comparables, mais plus spécialement à l’intérieur du mouvement Leclerc » et « tenir compte des critères habituellement obtenus dans le mouvement pour d’autres cessions ». On comprend bien la logique de cet encadrement : il s’agit d’éviter que le réseau concurrent puisse se livrer à une surenchère pour acquérir le contrôle de la société exploitante.

 

Le problème provenait de ce que la nature des critères retenus dans le réseau Leclerc n’était pas précisée. Or, dans des espèces semblables, la Cour de cassation a déjà prononcé la nullité du pacte de préférence. Ainsi, dans un arrêt rendu par la chambre commerciale le 19 décembre 2006 (pourvoi n° 05-10198), elle avait annulé un pacte de préférence pour indétermination du prix au motif que le pacte ne précisait pas « la consistance des règles fixées par le mouvement Leclerc en matière d’évaluation de fonds de commerce ou plus généralement d’évaluation de droits sociaux ». Autrement dit, si les critères de détermination du prix ne sont pas déterminés, le prix n’est pas déterminable et le pacte de préférence est nul. C’est cette solution que confirme la Cour de cassation dans l’espèce rapportée, et qui invite soit à rédiger plus précisément le pacte de préférence, soit à préciser expressément la volonté de recourir aux dispositions de l’article 1843-4 du Code civil, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

 

 

 

 

 

Annabel QUIN,

Maître de conférences à l’Université de Bretagne-Sud

Ancienne avocat au Barreau de Paris

 

 

 Mise en ligne: 29/08/2016





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