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L’homologation du protocole de conciliation n’écarte pas automatiquement l’abus de majorité


8 décembre 2025
Par Matthieu Richard



  • Cass. com., 26 nov. 2025, n° 24-15.730

 

D’une opération classique de LBO…

Dans le cadre d’une opération de LBO, une société A rachète deux sociétés cibles, par la constitution de la holding, la société B. De cette holding sont notamment associés la société A (61,15 % des titres pour 56,31 % des droits de vote) et M. C., dirigeant et associé historique des sociétés cibles (17,94 % des titres pour 25,86 % des droits de vote), par ailleurs dirigeant de la holding B.

…aux difficultés de la Holding

M. C. est successivement démis de son mandat social, puis licencié, mais il reste associé de la holding B. Une analyse commandée par le nouveau dirigeant conclu à l’impossibilité pour la holding B de faire face aux premières échéances de la dette, ce qui conduit à la comptabilisation d’une provision sur les titres d’une des cibles.

Un protocole de conciliation prévoit le réaménagement de la dette de la société holding B et une opération de « coup d’accordéon ». Le protocole est signé, puis homologué le 4 octobre 2016. L’assemblée générale de la holding B vote la résolution qui permet la réduction du capital à zéro et adopte la mise en œuvre des augmentations de capital. Ces opérations ont pour effet de diluer la participation de M. C., qui passe alors de 17,94 % à 0,01 %.

La règle de droit en cause

L’opération est contestée par M. C., associé historique des sociétés cibles, qui fait procéder à une expertise de gestion portant sur la dépréciation des titres provisionnés.

Le même associé, dilué par le coup d’accordéon, assigne en indemnisation les autres associés de la holding. Il soutient qu’il n’avait pas été informé de la provision, du protocole de conciliation et du coup d’accordéon.

L’arrêt d’appel fait droit à cette demande, et condamne la société A à indemniser M. C., en raison du préjudice qu’il a subi du fait de l’abus de majorité, et à réparer son préjudice moral.

La difficulté dont est saisie la Cour de cassation repose donc sur la possibilité ou non de considérer que l’accord de conciliation puisse être entaché d’un abus de majorité, malgré son homologation par le tribunal.

Les arguments avancés par la société A

La société A, qui se pourvoit en cassation, soutient en substance que l’accord est insusceptible de caractériser un abus de majorité, puisqu’il a été homologué par le tribunal, en application de l’article L. 611-8 du Code de commerce. Selon elle, un tel accord est « nécessairement conforme à l’intérêt social ». Cette conformité exclurait l’abus de majorité, qui requiert pour être caractérisé que les majoritaires aient pris une décision dans leur seul intérêt personnel, au détriment des minoritaires, et contrairement à l’intérêt social.

La position de la cour d’appel

Selon la cour d’appel de Paris, le fait que l’accord ait été homologué était indifférent. Le débat portait plutôt sur le bien-fondé de la provision, que l’expertise de gestion commandée par l’associé évincé conduisait à contester.

La position de la cour de cassation

La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la société A. Elle retient que le coup d’accordéon a été décidé « sur le fondement d’une présentation erronée de la situation financière » de la holding B. L’homologation ne faisait pas obstacle à la caractérisation de l’abus de majorité.

En effet, la décision, qui résultait certes de l’accord de conciliation, n’en avait pas moins été décidée par les majoritaires dans le dessein de favoriser leurs intérêts propres au détriment des minoritaires, et n’était pas conforme à l’intérêt de la société.

Le protocole de conciliation homologue contraire à l’intérêt social

Au-delà du fait que le protocole de conciliation puisse être constitutif d’un abus de majorité, il semble essentiel d’observer que malgré l’homologation, ce protocole peut être contraire à l’intérêt social. En l’espèce, la conciliation était justifiée par une présentation erronée de la situation financière.

Ainsi, si la conciliation peut être ouverte lorsque la société éprouve une difficulté (C. com., art. L. 611-4), elle peut ne pas être conforme à l’intérêt social lorsque cette difficulté est remise en cause et que le contenu de l’accord est décidé par les majoritaires dans leur seul intérêt. L’homologation de l’accord n’y change rien.





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