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Libre circulation des citoyens de l’Union et reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe


30 décembre 2025
Par Marie Potus



  • CJUE, gr. ch., 25 novembre 2025, aff. C-713/23

 

Depuis plusieurs années, la Cour de justice développe une jurisprudence tendant à garantir l’effectivité de la liberté de circulation des citoyens de l’Union lorsque celle-ci se heurte aux divergences nationales en matière de statut personnel. L’arrêt rendu le 25 novembre 2025 s’inscrit dans cette lignée. Il pose la question du sort à réserver, dans l’État membre d’origine, à un mariage entre personnes de même sexe légalement conclu dans un autre État membre, lorsque la non-reconnaissance de ce mariage fait obstacle à l’exercice effectif de la liberté de circulation en affectant les conditions dans lesquelles leur vie privée et familiale peut être menée.

Contexte

En l’espèce, deux citoyens de l’Union, l’un de nationalité polonaise et l’autre de nationalités polonaise et allemande, ont contracté mariage en Allemagne, État membre dans lequel ils résidaient. À la suite de leur installation en Pologne, ils ont sollicité la transcription du changement de nom de l’un des époux ainsi que la transcription de leur acte de mariage sur les registres de l’état civil polonais. Si la première demande a été admise, la seconde a en revanche été refusée, au motif que le droit polonais ne reconnaît pas le mariage entre personnes de même sexe et qu’une telle transcription porterait atteinte aux principes fondamentaux de l’ordre juridique national.

Les époux ont contesté ce refus devant les juridictions administratives polonaises. À l’occasion du pourvoi dont elle était saisie, la Cour suprême administrative polonaise a décidé d’interroger la Cour de justice sur la compatibilité d’un tel refus avec le droit de l’Union, les requérants soutenant que l’absence de reconnaissance de leur mariage faisait obstacle à l’exercice effectif de leur liberté de circulation et de séjour, en raison de l’appréciation divergente de leur état civil en Pologne et en Allemagne.

La Cour de justice était ainsi invitée à se prononcer sur la compatibilité de ce refus avec les articles 20, paragraphe 2, sous a), et 21, paragraphe 1, TFUE, lus à la lumière des articles 7 et 21, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi que de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.

La solution de la cour

La Cour de justice juge que le refus de reconnaître un mariage entre personnes de même sexe légalement conclu dans un autre État membre constitue une entrave à la liberté de circulation et de séjour des citoyens de l’Union. Elle précise que cette entrave doit être appréciée à la lumière du droit au respect de la vie privée et familiale dès lors que les intéressés doivent pouvoir poursuivre, dans leur État membre d’origine, la vie familiale développée ou consolidée dans l’État membre d’accueil.

Si la Cour rappelle que les États membres demeurent compétents pour définir les règles relatives au mariage, et que le droit de l’Union ne doit pas porter atteinte à cette compétence, elle souligne que l’exercice de cette compétence doit respecter le droit de l’Union. En particulier, l’obligation de reconnaissance d’un mariage conclu dans un autre État membre ne saurait être écartée au nom de l’ordre public ou de l’identité nationale, dès lors qu’elle n’impose pas à l’État concerné d’ouvrir le mariage aux couples de même sexe en droit interne.

La Cour ajoute que la transcription d’un acte de mariage étranger sur les registres d’état civil ne constitue qu’une modalité parmi d’autres permettant d’assurer cette reconnaissance. Toutefois, lorsque le droit national ne prévoit aucun autre mécanisme apte à garantir une reconnaissance effective du mariage, le refus de transcription est contraire au droit de l’Union. Elle relève enfin qu’un tel refus est susceptible d’aboutir à une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.

Une nouvelle étape

L’arrêt prolonge et approfondit la jurisprudence relative à la reconnaissance des situations familiales constituées dans un autre État membre, notamment les arrêts Coman (CJUE, gr. ch., 5 juin 2018, aff. C-673/16) et Mirin (CJUE, 4 oct. 2024, aff. C-4/23). Il marque toutefois une étape supplémentaire en admettant que la reconnaissance exigée par le droit de l’Union puisse, le cas échéant, passer par la transcription sur les registres d’état civil lorsque celle-ci conditionne l’exercice effectif des droits tirés de la citoyenneté européenne. Ce faisant, la Cour dépasse la seule reconnaissance incidente, limitée à certains effets, pour s’inscrire dans une logique visant à éviter la fragmentation du statut personnel du citoyen de l’Union et à permettre que celui-ci ne soit pas privé, au gré de ses déplacements, de la vie familiale et du statut juridique qu’il a légalement constitués dans un autre État membre.

Portée pratique

La portée de la décision est significative pour les États membres qui n’admettent pas le mariage entre personnes de même sexe. Sans leur imposer de modifier leur droit substantiel du mariage, la Cour les oblige à garantir une reconnaissance effective des mariages conclus à l’étranger par leurs ressortissants lorsque celle-ci conditionne l’exercice des droits tirés de la citoyenneté de l’Union. La marge d’appréciation nationale subsiste quant aux modalités de cette reconnaissance, mais elle se trouve étroitement encadrée par les exigences de non-discrimination et d’effectivité du droit de l’Union.





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