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Prescription de la créance et sort de la clause de réserve de propriété


15 décembre 2025
Par Marie Potus



  • Cass. com., 19 novembre 2025, n° 23-12.250

 

Selon l’article 2367, alinéa 1er, du code civil, « la propriété d’un bien peut être retenue en garantie par l’effet d’une clause de réserve de propriété qui suspend l’effet translatif d’un contrat jusqu’au complet paiement de l’obligation qui en constitue la contrepartie ». L’alinéa 2 précise que « la propriété ainsi réservée est l’accessoire de la créance dont elle garantit le paiement ». En réunissant dans un même article, d’une part, la logique contractuelle d’un transfert de propriété suspendu au paiement et, d’autre part, la logique des sûretés, qui fait du droit réservé un accessoire de la créance, le texte laisse subsister une incertitude sur le sort de la réserve de propriété lorsque la créance s’éteint autrement que par le paiement, notamment par l’effet de la prescription extinctive. Faut-il considérer que l’extinction de la créance entraîne celle de la réserve de propriété, ou admettre que celle-ci perdure tant que le prix n’a pas été payé ? Selon la lecture retenue, celle d’un transfert simplement paralysé jusqu’au paiement ou celle d’une propriété suivant le destin de la créance, la réponse apportée s’en trouve profondément modifiée.

Contexte

Au cas d’espèce, un navire avait été vendu avec une clause de réserve de propriété, le transfert demeurant suspendu jusqu’au paiement intégral du prix. Celui-ci devait être acquitté par un mécanisme de compensation convenu entre les parties, mécanisme qui n’a toutefois jamais été mis en œuvre. Malgré cette absence de paiement, le navire a été livré puis, plusieurs années plus tard, revendu à un tiers qui en a assuré la possession et l’exploitation. Estimant que la condition du transfert de propriété n’avait jamais été réalisée, le vendeur initial a engagé une action en revendication afin d’obtenir la restitution du navire. La cour d’appel a toutefois déclaré cette action irrecevable. Constatant que la créance de prix était prescrite, elle a considéré que la réserve de propriété, présentée comme l’accessoire de cette créance, s’était éteinte avec elle. Selon la Cour d’appel, la prescription avait eu pour effet d’opérer le transfert de propriété au profit de l’acquéreur, privant ainsi le vendeur de toute possibilité de revendication.

L’analyse de la cour

C’est sans surprise que l’arrêt est cassé. Au visa des articles 2367 et 2224 du code civil, la Cour de cassation rappelle que la seule circonstance susceptible de transférer la propriété du bien à l’acquéreur est le paiement du prix, conformément à la logique contractuelle posée par le premier alinéa de l’article 2367. L’extinction de la créance par prescription ne saurait, à elle seule, produire cet effet. La Cour ajoute que l’action en revendication exercée par le vendeur, parce qu’elle trouve sa source non dans la créance éteinte, mais dans son droit de propriété sur le bien, n’est pas soumise au délai de prescription de l’article 2224.

Une clarification de la portée de l’accessoriété

La solution paraît judicieuse. Elle conduit à replacer l’alinéa 2 dans une lecture cohérente avec l’économie générale de l’article 2367, dominée par son premier alinéa. De longue date, la Cour retient d’ailleurs que l’extinction d’une créance non déclarée à la procédure collective n’affecte pas les droits du propriétaire (Cass. com., 9 janv. 1996, n° 93-12.667). Il en résulte que l’accessoriété joue quant au sort et à la circulation de la créance, mais non quant à son extinction. Seul le paiement, en tant qu’événement satisfactoire, demeure capable de mettre fin à la propriété réservée.

Portée pratique

La portée pratique de la solution est réelle, en ce qu’elle confirme que le vendeur bénéficiaire d’une clause de réserve de propriété conserve la possibilité de revendiquer le bien tant que le prix n’a pas été intégralement réglé, indépendamment du temps écoulé et des transmissions successives. En conséquence, le sous-acquéreur, même de bonne foi, se trouve exposé au risque d’une revendication tardive, dès lors que le transfert de propriété n’est jamais intervenu.





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