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Les conséquences juridiques de la méconnaissance d’une servitude non aedificandi, suite à la revente d’une maison mal implantée – Cass. civ. 3ème, 7 janvier 2016, n° 14-24.777 et 14-24.842, publié au bulletin


8 mars 2016



En cas de revente d’une maison partiellement implantée sur l’assiette d’une servitude non aedificandi, le vendeur, qui a fait construire l’extension irrégulière, s’expose à une action en garantie d’éviction de la part de ses acquéreurs. S’il dispose de recours tant à l’encontre du notaire qui a instrumenté l’acte de vente que de l’architecte qui a conçu et suivi les travaux d’extension, les chances de succès de ces deux actions sont inégales et les fondements juridiques de la seconde sont discutés.

 

Destiné à la publication au bulletin, l’arrêt commenté est intéressant à un double titre. D’abord, il rappelle le régime de responsabilité applicable au vendeur d’un immeuble ne respectant pas la servitude non aedificandi qui le grève. Ensuite, il contribue à alimenter le débat sur la détermination des contours de la « responsabilité de droit commun des constructeurs » et des règles de prescription qui lui sont applicables. Les faits de l’espèce sont originaux. Une SCI réalise une extension d’une maison sur un terrain grevé d’une servitude non aedificandi. Dans les dix ans de la réception, elle cède son bien à des acquéreurs. La servitude non aedificandi n’ayant pas été respectée, les acquéreurs sont condamnés à démolir partiellement l’extension réalisée et à indemniser les propriétaires du fonds dominant de leur préjudice. Dans la foulée, ils assignent la SCI venderesse aux fins de la voir condamnée à leur rembourser la valeur de la partie de terrain dont ils ont été évincés et au paiement de dommages-intérêts. La SCI conteste sa responsabilité, en même temps qu’elle appelle en garantie le notaire qui a instrumenté l’acte de vente et l’architecte intervenu sur le chantier.

 

L’action indemnitaire des acquéreurs, qui est fondée sur la garantie d’éviction, prospère devant la Cour d’appel. La SCI venderesse est donc condamnée et son recours contre le notaire est rejeté. En revanche, l’appel en garantie qu’elle forme contre son architecte est favorablement accueilli.

 

Des pourvois croisés sont donc formés par la SCI venderesse et par son architecte.

 

La SCI venderesse reproche d’abord aux juges d’appel de l’avoir condamnée à garantir ses acquéreurs contre l’éviction alors même que la servitude non aedificandi était mentionnée dans l’acte qui stipulait expressément que les acquéreurs souffriraient toute servitude sans possibilité de recours, sauf en cas de défaut de déclaration. Elle leur reproche ensuite d’avoir rejeté son recours contre le notaire alors que ce dernier par sa négligence dans la rédaction d’une clause d’exclusion de garantie d’éviction au titre des servitudes a privé son acte d’efficacité.

 

Fort peu sensible aux arguments développés par la SCI, la troisième Chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi. La Haute juridiction considère qu’en ayant retenu que l’éviction dont souffraient les acquéreurs ne résultait pas de l’existence de la servitude non aedificandi, mentionnée dans leur titre, mais de sa violation lors de l’extension de la maison, et relevé que les acquéreurs ne pouvaient soupçonner cette transgression, qui ne leur avait pas été déclarée, alors qu’en outre, la servitude avait été modifiée pour tenir compte du projet de l’architecte, que le notaire, en possession de la convention de servitude, du permis de construire et du certificat de conformité, ne pouvait suspecter que les travaux violaient cette servitude, et que rien ne permettait d’affirmer que la présence du vendeur à l’instance engagée par le tiers aurait permis de clore le litige par un accord amiable, la cour d’appel a légitimement condamné la SCI à garantir l’éviction dont souffraient les acquéreurs et a tout aussi rejeté le recours en responsabilité exercé contre le notaire.

 

La solution est cohérente et mérite, de ce point de vue, une approbation totale.

 

De son côté, l’architecte reproche aux juges du fond de le condamner à garantir la SCI des condamnations prononcées à son encontre, alors que l’action du maître d’ouvrage contre un constructeur au titre de désordres affectant l’ouvrage doit être engagée dans un délai de dix ans à compter de la réception et qu’un défaut d’implantation nécessitant la démolition d’une partie de l’ouvrage constitue incontestablement un désordre qui affecte celui-ci.

 

Le pourvoi formé par l’architecte ne manque pas de pertinence et, à bien y regarder, la question posée à la troisième Chambre civile est celle de la détermination de la nature – et, par-là, du fondement – de l’action récursoire exercée par la SCI venderesse contre son architecte. Tout cela évidemment afin de déterminer le régime de prescription à laquelle cette action est soumise.

 

La troisième Chambre civile de la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir retenu que l’action récursoire du vendeur, qui tend à l’indemnisation du préjudice que lui cause l’obligation de garantir les acquéreurs de l’éviction qu’ils subissent en raison du non-respect lors de l’extension de la maison de la servitude non aedificandi grevant le fonds, relève de la responsabilité civile de droit commun qui se prescrivait par trente ans avant la réforme de 2008.

 

La solution retenue confirme que, dans les relations entre maître de l’ouvrage et constructeurs,  le défaut d’implantation de l’ouvrage donne lieu, selon les circonstances, à une application distributive, d’une part de la garantie décennale[1] et, d’autre part, de la responsabilité contractuelle de droit commun.

 

Toutefois, dans ce dernier cas, une question se pose : de quel « droit commun » s’agit-il ? De la « responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs pour faute prouvée » ? Ou du régime contractuel de l’inexécution pour défaut de conformité ? En d’autres termes, en validant le raisonnement de la Cour d’appel faisant référence au « droit commun », la troisième Chambre civile considère-t-elle que l’architecte a délivré un bien non conforme ou qu’il a commis une faute dans l’exécution de sa mission en implantant l’extension de la maison sur l’assiette d’une servitude non aedificandi dont il avait pourtant connaissance ? Un élément de réponse pourrait être trouvé dans le régime de prescription appliqué. En effet, la Haute juridiction a approuvé les juges d’appel d’avoir considéré que l’action récursoire de la SCI venderesse contre son architecte relevait de « la responsabilité civile de droit commun qui se prescrivait par trente ans » avant la réforme opérée par la loi du 17 juin 2008.  Or on se souvient que, dès avant la réforme de 2008, la jurisprudence, par les arrêts Grobost et Maisons Bottemer du 16 octobre 2002[2], semblait avoir soumis les actions en responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs pour faute prouvée, s’agissant de dommages affectant l’ouvrage, au délai décennal. Doit-on en déduire que l’on était en présence d’un défaut de conformité davantage que d’une hypothèse de faute de l’architecte ? Rien n’est moins sûr ! Ceci d’autant plus que les faits et circonstances de l’espèce caractérisent largement la faute de ce dernier…

 

Enfin, on notera que dans l’arrêt commenté, les questions de qualification se posent avec d’autant plus d’acuité que le défaut d’implantation entraîne ici la démolition – certes simplement partielle – de l’ouvrage… Situation habituellement soumise à la responsabilité décennale des constructeurs par la troisième Chambre civile de la Cour de cassation !

 

 

                                               Jean-Philippe TRICOIRE

                                               Université de Franche-Comté

                                               Directeur du Master droit des affaires et du patrimoine

                                               Directeur scientifique du pôle immobilier ALTA-JURIS

 

Mise en ligne: 08/03/2016

 

 

[1] Lorsque l’ouvrage est affecté dans sa solidité ou rendu impropre à sa destination par le défaut d’implantation.

[2] Cass. civ. 3ème, 16 octobre 2002, n° 01-10.482 et 01-10.330 : « Attendu, d’autre part, que la cour d’appel a, à bon droit, retenu que la responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur pour manquement au devoir de conseil ne pouvait être invoquée, quant aux désordres affectant l’ouvrage, au-delà d’un délai de dix ans à compter de la réception »





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