- Cass. crim., 30 septembre 2025, n° 24-85.225
Introduction
Le secret professionnel de l’avocat, pourtant érigé en droit fondamental, n’est plus ce bastion intangible qu’il prétendait être. En rupture avec la lettre de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, qui proclame la protection du secret professionnel « en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense », la chambre criminelle de la Cour de cassation trace désormais une frontière entre deux formes d’activité : la défense, protégée, et le conseil, exposé. L’arrêt rendu le 30 septembre 2025 vient en offrir une nouvelle illustration.
Les faits et la procédure
En l’espèce, le parquet national financier a été saisi à la suite d’un signalement de la chambre régionale des comptes, faisant état d’irrégularités dans la passation de contrats entre une compagnie de navigation aérienne et un aéroport exploité par une chambre de commerce et d’industrie puis par un syndicat mixte, susceptibles de constituer des infractions de favoritisme, de détournement de fonds publics et de recel. Sur autorisation du juge des libertés et de la détention, une perquisition a été menée dans les locaux du syndicat pendant la période litigieuse. À cette occasion, plusieurs documents émanant d’un avocat (une consultation juridique et une note d’honoraires) ont été saisis. Le directeur du syndicat s’y est opposé en invoquant le secret professionnel. Les pièces ont alors été placées sous scellés et transmises au juge des libertés et de la détention, qui a ordonné la restitution de certains documents et le versement à la procédure des autres. La chambre de commerce et d’industrie, le syndicat mixte et le procureur de la République financier ont formé des recours contre cette décision. Par ordonnance du 2 août 2024, le président de la chambre de l’instruction a confirmé partiellement le versement de pièces. Le bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris s’est alors pourvu en cassation.
Les questions posées
Deux questions étaient ainsi posées à la Cour de cassation : d’une part, celle de la recevabilité du pourvoi formé par le bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris, et d’autre part, celle du caractère saisissable d’une consultation juridique rédigée en dehors de toute procédure juridictionnelle.
La recevabilité du pouvoir du bâtonnier
Sur le premier point, la Cour reconnaît que le bâtonnier a la qualité de partie à l’instance pour contester la saisie de pièces susceptibles d’être couvertes par le secret professionnel de l’avocat, en application de l’article 56-1-1 du code de procédure pénale, lu conjointement avec les alinéas 5 et 8 de l’article 56-1 du même code. Elle rappelle ainsi, dans le prolongement de ses arrêts du 11 mars 2025 (n° 24-82.517, n° 23-86.260, n° 23-86.261 et n° 24-80.926), que le bâtonnier, garant du secret professionnel et des droits de la défense, peut intervenir dès lors que des documents susceptibles d’être couverts par ce secret sont saisis, y compris lorsque ces pièces ne proviennent pas directement des locaux d’un avocat.
La distinction entre défense et conseil
Sur le second point, la Cour rappelle que, selon l’article 56-1, alinéa 2, du code de procédure pénale, seuls les documents relevant de l’exercice des droits de la défense bénéficient de l’insaisissabilité qu’il prévoit. Il en va ainsi, notamment, de la consultation délivrée par un avocat à un client qui, dans l’attente de poursuites imminentes, sollicite un avis en vue d’organiser ou de préparer sa défense. En revanche, les consultations ayant pour objet la sécurisation d’une situation juridique, l’analyse de risques contractuels ou la conformité d’une opération ne participent pas de l’articulation d’une défense et ne peuvent, dès lors, bénéficier de cette protection. Les documents couverts par le secret professionnel mais ne relevant pas de l’exercice des droits de la défense demeurent saisissables, même en dehors de l’hypothèse où ils révéleraient la participation éventuelle de l’avocat à l’infraction poursuivie. Tel était le cas en l’espèce. La consultation et la convention d’honoraires saisies n’avaient pas été rédigées en prévision d’un contentieux, mais dans un but de sécurisation juridique des relations contractuelles. La Cour valide en conséquence l’analyse du président de la chambre de l’instruction, qui avait estimé que ces pièces, en lien avec la gestion de fonds publics, étaient nécessaires à la manifestation de la vérité. Elle confirme enfin que cette solution, qui repose sur un juste équilibre apprécié par le juge du fond entre le respect de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et les impératifs de transparence de la vie publique, ne méconnaît pas la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, jugée inapplicable en l’espèce.
Portée et critiques
Par cette décision, la chambre criminelle confirme une tendance jurisprudentielle amorcée par ses arrêts du 11 mars 2025 précités. Cette orientation intervient pourtant dans un contexte législatif qui semblait consacrer l’unité du secret. En effet la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire avait garanti, à l’article préliminaire du code de procédure pénale, le respect du secret professionnel de « la défense et du conseil », sans distinction apparente. En restreignant désormais cette protection à la seule activité contentieuse, la Cour rompt avec la logique d’indivisibilité posée par l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 et adopte une approche plus fonctionnelle du secret, fondée sur l’exercice effectif des droits de la défense et l’exigence de manifestation de la vérité. Si cette lecture répond à une exigence de transparence et d’efficacité des enquêtes, elle n’en demeure pas moins préoccupante. La Cour européenne des droits de l’homme adopte d’ailleurs une approche inverse. Elle considère que la confidentialité des échanges avocat-client, y compris hors contentieux, est protégée au titre de l’article 8 de la Convention (CEDH, Michaud c/ France, 6 déc. 2012 ; Altay c/ Turquie, 9 juill. 2019). En s’en écartant, la Cour de cassation fragilise la confiance qui fonde la relation entre l’avocat et son client et introduit une insécurité majeure pour la pratique du conseil juridique, dès lors que les documents stratégiques, audits de conformité ou réflexions juridiques internes peuvent désormais être saisis, dans le cadre, notamment d’une enquête de concurrence.
Conclusion
Face à ces évolutions, la profession s’organise. Lors de son assemblée générale de juillet 2025, le Conseil national des barreaux a voté un rapport proposant une réforme du secret professionnel, visant notamment à reconnaître un « secret commun » entre avocats participant à une même mission et à adapter les règles relatives aux perquisitions et aux saisies.

