- Cass. civ. 1re, 3 septembre 2025, FS-B, n° 24-11.383
L’article 1641 du code civil oblige le vendeur à garantir les vices cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine ou qui en diminuent tellement l’usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou à un moindre prix, s’il les avait connus. De longue date, la Cour de cassation considère que cette garantie se transmet en tant qu’accessoire de la chose vendue (Civ. 1re, 9 oct. 1979, n° 78-12.502). Le sous-acquéreur peut ainsi agir directement contre le vendeur originaire, par une action de nature contractuelle (Ass. plén., 7 févr. 1986, n° 83-14.631), à raison d’un vice antérieur à la première vente (Civ. 1re, 5 janv. 1972).
Mais une question demeurait : lorsque plusieurs ventes se succèdent, à quel moment et dans quelle personne la connaissance du vice doit-elle être appréciée ?
Faits et procédure
L’espèce commentée offrait à la Cour l’occasion de trancher ce point. Une société acquit un véhicule neuf auprès du constructeur, puis le vendit à un particulier avant de le reprendre pour le revendre, dans la foulée, à un professionnel de l’automobile. Ce dernier le céda ensuite à des particuliers, lesquels, plusieurs années plus tard, découvrirent une défaillance du moteur imputable à un défaut d’entretien ancien. Après expertise, les acquéreurs assignèrent directement le vendeur originaire sur le fondement de la garantie des vices cachés, aux fins d’obtenir la résolution de la vente et l’indemnisation de leur préjudice. La cour d’appel de Paris, par un arrêt du 7 décembre 2023, fit droit à leur demande, estimant que le vice, antérieur à la vente réalisée entre le vendeur initial et le revendeur, était indécelable pour des acheteurs non professionnels et demeurait donc caché.
Position de la cour de cassation
La Cour de cassation casse l’arrêt. Elle retient « qu’il se déduit des articles 1641, 1642 et 1645 du code civil que la garantie des vices cachés accompagne, en tant qu’accessoire, la chose vendue et que, lorsque l’action est exercée à l’encontre du vendeur originaire à raison d’un vice antérieur à la première vente, la connaissance de ce vice s’apprécie à la date de cette vente dans la personne du premier acquéreur qui, s’il est professionnel, est présumé connaître le vice, cette présomption étant irréfragable ».
L’alignement sur la jurisprudence commerciale
Avec cette décision, la première chambre civile s’aligne sur la solution dégagée un an plus tôt par la chambre commerciale (Cass. com., 16 oct. 2024, n° 23-13.318). La solution est logique. Dans la mesure où le sous-acquéreur exerce l’action transmise par le premier acquéreur, les conditions de la garantie des vices cachés doivent s’apprécier en la personne de ce dernier. L’action du sous-acquéreur, transmise avec la chose, ne peut lui conférer plus de droits que n’en détenait le premier acquéreur, l’action n’ayant fait que voyager de patrimoine en patrimoine. Or, si le premier acquéreur est un professionnel, il est présumé connaître le vice de manière irréfragable. Il s’agit d’une précision importante puisque jusqu’à présent, cette présomption ne visait que le vendeur professionnel, réputé connaître les défauts de la chose, et non l’acquéreur professionnel (Civ. 1re, 27 nov. 2019, n° 18-18.640).
Les conséquences pratiques
La portée pratique de cette solution mérite d’être soulignée. Dans les chaînes de ventes impliquant un professionnel intermédiaire, le sous-acquéreur non professionnel voit en effet son action directe fortement limitée. Le souci de cohérence et de sécurité juridique l’emporte ici sur la logique protectrice, dans un esprit que semble d’ailleurs partager l’avant-projet Stoffel-Munck (2023), qui propose d’inscrire à l’article 1642, alinéa 2, une présomption de connaissance des vices pour le vendeur professionnel, mais seulement « jusqu’à preuve du contraire ».

