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Dense actualité et précisions significatives en matière de prescription


17 juillet 2023



Ces derniers mois, plusieurs difficultés relatives à la prescription ont été soumises à la Cour de cassation. De prime abord, cette densité contentieuse et jurisprudentielle peut surprendre puisque la matière a été réformée par une importante loi datée du 17 juin 2008 (portant réforme de la prescription en matière civile), soit il y a plus de quinze ans. L’on pourrait raisonnablement penser que les principales difficultés d’interprétation de ce texte ont déjà été aplanies. Or, il n’en est rien. L’expérience nous a en effet appris que le temps des réformes et le temps judiciaire ne concordent guère, ce dont atteste à nouveau les interventions récentes de la Cour de cassation.

À ce titre, signalons d’abord une audience particulièrement médiatisée, notamment parce que filmée et donc accessible au public, qui s’est tenue le 16 juin dernier à la Cour de cassation. Une chambre mixte a en effet été réunie pour trancher deux questions relatives à la prescription de l’action en garantie des vices cachés : celle de la nature du fameux délai de deux ans de l’article 1648 du Code civil (prescription ou forclusion) et celle de l’application ou non du délai butoir prévu à l’article 2332 du Code civil à cette action particulière. Attendues tant par les praticiens que la doctrine, quatre décisions ont été rendues le 21 juillet (C. mixte, 21 juillet 2023, n° 21-15.809, 21-17.789, 21-19.936, 20-10.763). Concernant la première interrogation, la Cour de cassation opte pour la qualification de délai de prescription, ce qui emporte application des causes de suspension et d’interruption prévues aux articles 2234 et suivants. Concernant la seconde interrogation, l’application du délai butoir de l’article 2232 du Code civil est retenue. Dès lors, comme le synthétise le communiqué de presse accompagnant la publication de la décision, un acheteur doit agir en garantie des vices cachés dans les deux ans suivant la découverte du vice et, au plus tard, dans un délai de vingt ans à compter de la vente du bien litigieux.

Une décision importante portant sur la prescription de l’action en responsabilité intentée contre les auxiliaires de justice est ensuite à noter (Civ. 1ère, 14 juin 2023, n° 22-17.520). L’article 2225 du Code civil érige un point de départ spécifique lorsqu’est en cause « l’action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice ». Les avocats sont donc, au premier chef, concernés. Si, comme dans le droit commun, le délai de prescription est de cinq ans, « la fin de la mission » en constitue le point de départ. La loi n’ayant pas davantage explicité cette notion, il est revenu à la jurisprudence de la préciser. Par une décision remarquée du 14 janvier 2016 (n°14-23.200), la première chambre civile avait précisé que la « fin de la mission » correspondait à la date du prononcé de la décision juridictionnelle en cause, date à partir de laquelle commençait donc à courir le délai quinquennal. Cette solution n’a néanmoins pas été jugée satisfaisante par la Cour de cassation, qui a décidé, par le biais de la décision évoquée, de revenir sur cette solution. Au sens de l’article 2225 du Code civil, la « fin de la mission » de l’avocat correspond désormais à la date de « l’expiration du délai de recours contre la décision ayant terminé́ l’instance pour laquelle il avait reçu mandat de représenter et d’assister son client, à moins que les relations entre le client et son avocat aient cessé avant cette date ». Deux configurations sont alors envisageables : soit la prescription court à compter de l’évènement ayant expressément mis fin à la relation entre l’avocat et son client (un courrier de rupture par exemple), soit elle court à partir du moment où délai de recours contre la décision en cause est épuisé, ce qui permet alors de tenir compte de la mission de conseil de l’avocat quant aux recours potentiels et à leur exercice.

Une dernière décision intéressera enfin les spécialistes des baux commerciaux (Civ. 3ème , 25 mai 2023, n°21-23.007). Au nom de la protection du preneur à bail, le statut des baux commerciaux s’avère particulièrement contraignant pour le bailleur. Dès lors, le législateur offre aux parties la possibilité de conclure un bail dérogatoire, d’une durée de deux ans, qui échappe à ce statut protecteur (article L. 145-5 du Code de commerce). Cette possibilité est toutefois encadrée afin d’éviter un contournement du statut impératif. L’alinéa 2 de l’article L. 145-5 du Code de commerce précise en effet que « Si, à l’expiration de cette durée, et au plus tard à l’issue d’un délai d’un mois à compter de l’échéance le preneur reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail dont l’effet est réglé par les dispositions du présent chapitre » (c’est-à-dire le régime des baux commerciaux). L’hypothèse était précisément celle-ci dans l’affaire soumise à la Cour de cassation. Après la conclusion de deux « baux dérogatoires », un preneur avait été laissé dans les lieux pendant plus de huit ans. Le bailleur ayant souhaité en 2016 récupérer son bien, le preneur invoquait l’application du statut des baux commerciaux. Le bailleur lui opposait alors la prescription de l’action en constatation de l’existence d’un bail commercial. Alors que la cour d’appel saisie avait déclaré l’action prescrite, la Cour de cassation affirme que « la demande tendant à faire constater l’existence d’un bail commercial statutaire, né du maintien en possession du preneur à l’issue d’un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l’article L. 145-5 du code de commerce, n’est pas soumise à prescription ». Exit donc les débats sur le délai ou le point de départ de la prescription puisque l’imprescriptibilité est de mise pour cette action spécifique.





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