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Dol du mandataire et responsabilité du mandant


18 avril 2022
Par Marie POTUS
Doctorante en droit Privé à l’Université Jean Moulin LYON III



Dans un arrêt du 29 octobre dernier (n° 19-18.470), une chambre mixte de la Cour de cassation est venue mettre un terme aux conflits doctrinaux et aux divergences de chambres sur la question de savoir s’il est possible ou non d’imputer le dol du mandataire au mandant.

À l’origine des faits, se trouve la cession d’actions d’une société. L’ancien dirigeant, associé majoritaire, avait reçu de son épouse et de ses enfants, associés minoritaires, un mandat de vendre leurs actions. Après la conclusion de la cession, les nouveaux acquéreurs apprirent que l’ancien dirigeant leur avait dissimulé le projet de départ du directeur général de la société. Considérant avoir été trompés, ils l’assignèrent pour dol et appelèrent également en intervention les mandants, sur le même fondement, tout en limitant leurs prétentions à l’obtention de dommages et intérêts. Dans sa décision, la cour d’appel saisie du litige fit partiellement droit à leur demande. Elle retient la responsabilité du dirigeant, mais écarte la prétention des cessionnaires à l’égard des mandants au motif qu’aucun élément ne permettait de retenir une participation personnelle de leur part aux agissements dolosifs.

Devant la Cour de cassation, les cessionnaires contestaient l’arrêt d’appel en faisant valoir que le mandant est tenu d’exécuter les engagements contractés par le mandataire (conformément à l’article 1998 du Code civil) de sorte que les manœuvres dolosives du mandataire, déterminant le consentement du cocontractant, lui sont opposables.

La Cour de cassation devait donc se prononcer sur la possibilité d’engager ou non la responsabilité civile du mandant du seul fait des manœuvres dolosives du mandataire.

La question était d’importance, car si les décisions relatives à cette question sont nombreuses, elles sont en revanche loin d’être univoques. Tandis que la chambre commerciale et la première chambre civile tranchent dans le sens d’une responsabilité du mandant à l’égard du dol commis par son mandataire (voir par ex. Com. 6 décembre 2016, n° 14-25.259 ou Civ. 1ère, 15 juin 2016, n° 15-14.192), pour la troisième chambre civile, c’est une solution inverse qui semble, depuis peu, s’être imposée (Civ. 3ème, 15 avril 2021, n° 19-20.424).

La décision de la chambre mixte était donc bienvenue. Après avoir rappelé que la victime du dol peut agir d’une part en nullité de convention (sur le fondement des articles 1137 et 1178 alinéa 1er du Code civil, auparavant 1116) et d’autre part, en réparation du préjudice (sur le fondement des articles 1240 et 1241 du Code civil, auparavant 1382 et 1383), elle précise que « si le mandant est, en vertu de l’article 1998 du Code civil, contractuellement responsable des dommages subis du fait de l’inexécution des engagements contractés par son mandataire dans les limites du mandat conféré, les manœuvres dolosives du mandataire, dans l’exercice de son mandat, n’engageant la responsabilité du mandant que s’il a personnellement commis une faute, qu’il incombe à la victime d’établir ». Autrement dit, en cas de dol du mandataire, le mandant ne pourra voir sa responsabilité engagée que si sa faute personnelle est établie.

Cette solution remarquée (l’arrêt est publié au Bulletin et sera mentionné au Rapport annuel), est également remarquable à deux égards. D’une part, en insistant sur l’indépendance du mandataire vis-à-vis du mandant, la Cour de cassation poursuit son mouvement de différenciation entre le mandat de droit commun et le mandat social (lequel permet d’engager la responsabilité de la personne morale du seul fait de la faute délictuelle commise par ses organes). D’autre part, il convient désormais de distinguer selon que la victime du dol réclame la nullité du contrat pour dol en application de l’article 1138 — auquel cas les manœuvres dolosives du mandataire sont suffisantes pour obtenir la nullité — ou selon qu’elle sollicite des dommages et intérêts en vertu des articles 1240 et 1241 du Code civil — auquel cas le dol du mandataire ne saurait suffire à engager la responsabilité du mandant.





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