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Implication d’un véhicule dans un incendie causé par une flaque d’essence


27 mai 2025
Par Marie Potus



  • Civ. 2e, 3 avril 2025, n° 23-19.534

 

L’implication, notion du dispositif d’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation mis en place par la loi du 5 juillet 1985, continue de susciter débats et incertitudes, en raison du silence des textes sur sa définition et ses contours. Si elle se prête aisément aux hypothèses de collision simple (l’implication du véhicule dans l’accident étant irréfragablement établie par le contact entre le véhicule terrestre à moteur et le siège du dommage), elle devient plus incertaine lorsque le véhicule n’a pas constitué la causa proxima de l’accident. L’affaire ayant donné lieu à l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 3 avril 2025 en offre une parfaite illustration.

Dans le garage de son logement de fonction, un gendarme procédait au remplissage du réservoir de sa motocyclette. Lors de cette opération, un trop-plein d’essence s’est échappé par les tuyaux de sécurité du réservoir, formant une flaque au sol. Le déclenchement automatique d’une chaudière à gaz située à proximité a alors provoqué l’embrasement de l’essence, puis de la moto elle-même, avant que l’incendie ne se propage à l’ensemble de l’habitation, entièrement détruite. L’État, en sa qualité de locataire du bien, a été condamné à indemniser le propriétaire et son assureur. Subrogé dans les droits du gendarme sinistré, l’Agent judiciaire de l’État s’est alors retourné contre l’assureur multirisque habitation de ce dernier, sollicitant le remboursement des sommes versées. Ce dernier a opposé une clause d’exclusion de garantie visant les dommages causés par un véhicule assujetti à l’assurance automobile obligatoire. Mais encore fallait-il établir que le véhicule était « impliqué » dans l’accident, au sens de l’article premier de la loi du 5 juillet 1985.

C’est précisément ce que conteste la cour d’appel de Colmar, dans un arrêt du 2 juin 2023. Selon elle, l’incendie ne procédait pas du fait d’une étincelle provenant de la motocyclette elle-même, mais de l’action conjuguée de la flaque d’essence au sol et du déclenchement de la chaudière. L’analyse est toutefois censurée par la Cour de cassation. Rappelant sa jurisprudence constante selon laquelle un véhicule est impliqué « dès lors qu’il a joué un rôle quelconque dans la réalisation » de l’accident (v. not. Cass. 2e civ., 15 déc. 2022, n° 21-11.423), elle juge que le fait que l’essence provienne directement du réservoir de la motocyclette suffit à la faire entrer dans le champ de la loi Badinter, peu important qu’il ne s’agisse pas d’un incendie déclenché par l’engin lui-même.

L’arrêt illustre, une nouvelle fois, l’extrême souplesse avec laquelle la haute juridiction appréhende la notion d’implication. Émancipée des exigences classiques du droit commun, la notion d’implication au sens de la loi Badinter ne suppose ni contact, ni mouvement, ni anormalité. Elle impose seulement de rechercher si le véhicule a été l’une des composantes du processus accidentel, soit qu’il l’ait provoqué, soit qu’il en ait modifié le cours. Or, en l’espèce, le rôle causal de la moto était indéniable, puisque c’est lors de son usage (le remplissage de son réservoir) qu’est née la flaque d’essence à l’origine de l’incendie.

Cette approche, qui s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence nourrie, permet ainsi d’activer une clause d’exclusion propre à l’assurance automobile obligatoire, là où la cour d’appel entendait privilégier une lecture fondée sur le droit commun de la responsabilité. Elle confirme, ce faisant, que le champ d’application de la loi du 5 juillet 1985 ne se limite pas à la circulation routière stricto sensu, mais s’étend à tout contexte dans lequel un véhicule a joué un rôle dans la survenance d’un accident.





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