- CCA Paris, 3 septembre 2025, n° 23PA03881 23PA03883 23PA03895
Après l’abandon du retour de l’acétamipride par la loi Duplomb, une nouvelle victoire vient d’être remportée sur le terrain écologique par ceux qui alertent depuis des années sur la dangerosité des produits phytopharmaceutiques. Deux ans après une première condamnation de l’État par le tribunal administratif de Paris, la cour administrative d’appel de Paris confirme, dans l’affaire Justice pour le Vivant, la responsabilité de l’État français pour préjudice écologique lié à l’usage de pesticides.
Saisis par cinq associations de protection de l’environnement, les juges parisiens avaient déjà reconnu, le 29 juin 2023, l’existence d’un préjudice écologique consécutif à l’emploi massif de produits phytopharmaceutiques. Ils avaient en outre jugé ce préjudice imputable à des fautes de l’État, notamment au non-respect des plans Ecophyto visant à réduire de 50 % l’usage des pesticides à l’horizon 2030.
Saisie de plusieurs appels, la Cour commence par confirmer la recevabilité de l’action. Elle précise que les articles 1246 à 1248 du Code civil, qui organisent l’action en réparation du préjudice écologique, peuvent être invoqués devant le juge administratif contre l’État, même si les textes ne le prévoient pas expressément.
Sur le fond, la Cour confirme également l’existence d’un préjudice écologique. Elle relève que l’utilisation massive des pesticides est à l’origine d’une contamination diffuse, chronique et durable des sols et des eaux, du déclin de la biodiversité et de la biomasse (notamment des pollinisateurs et des oiseaux) et d’une atteinte aux bénéfices collectifs tirés de l’environnement. Elle déplace en revanche le raisonnement sur la faute. Contrairement au tribunal administratif, elle juge que l’État n’a pas commis de faute en ne respectant pas les objectifs chiffrés des plans Ecophyto car ces derniers sont dépourvus de valeur contraignante. En revanche, l’ANSES, chargée de l’évaluation des produits, aurait dû s’appuyer sur le dernier état des connaissances scientifiques. En ne recourant pas systématiquement aux données les plus récentes, l’agence a manqué à l’obligation d’évaluation rigoureuse que lui impose le droit de l’Union. Quant au lien de causalité, la Cour reconnaît que ces insuffisances ne sont pas, à elles seules, à l’origine du préjudice écologique, qui résulte de facteurs multiples, mais elle estime qu’elles ont nécessairement contribué à son aggravation. En conséquence, la Cour ordonne à l’État de revoir ses méthodes d’évaluation des risques et de réexaminer, dans un délai de vingt-quatre mois, certaines autorisations de mise sur le marché délivrées sans prise en compte des données scientifiques les plus récentes. L’État devra, en outre, communiquer à la Cour, dans un délai de six mois, un calendrier prévisionnel de ce réexamen.
Si l’arrêt marque un progrès notable en imposant une évaluation des risques sanitaires et environnementaux fondée sur les connaissances scientifiques les plus actuelles, la portée de la décision ne doit toutefois pas être surestimée. En effet, la Cour d’appel a partiellement annulé le jugement du tribunal administratif, en tant « qu’il a enjoint à la Première ministre et aux ministres compétents de prendre toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique et prévenir l’aggravation des dommages en rétablissant la cohérence du rythme de diminution de l’utilisation des produits phytosanitaires avec la trajectoire prévue par les plans Ecophyto et en prenant toutes mesures utiles en vue de restaurer et protéger les eaux souterraines contre les incidences des produits phytopharmaceutiques ». Cela signifie que même reconnue fautive, l’autorité politique échappe à toute obligation d’action immédiate, ce qui limite considérablement la portée pratique de cette décision.