ARTICLES

Lancement du Parquet européen


22 mars 2021
Par Cécile GRANIER
Maître de conférences en droit Privé à la Faculté de Lyon Jean Moulin LYON III



À l’heure où le parquet national financier est sous les feux de l’actualité, un nouveau parquet spécialisé – le Parquet européen – débute son activité. Son lancement a été permis par l’adoption de la loi du 24 décembre 2020, dont l’un des objectifs était de préciser les modalités de fonctionnement de ce nouveau parquet (Loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée). Initialement prévue par le Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne afin de développer un espace européen de justice pénale, la création d’un Parquet européen a été actée par un règlement européen daté du 12 octobre 2017. Bien qu’étant d’application directe, la mise en œuvre du règlement a rendu nécessaire certaines précisions au sein notre Code de procédure pénale. La loi du 24 décembre 2020 a ainsi conduit à l’ajout d’un titre X bis intitulé « Du Parquet européen » au sein du livre IV du Code de procédure pénale.

 

La compétence de ce ministère public supra-européen est, pour l’instant, limitée aux infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne, telles que par exemple les fraudes à la TVA intra-communautaire, aux subventions européennes ou encore la corruption de fonctionnaires européens. L’architecture de ce parquet est double. Au niveau central, une cheffe du Parquet européen –  Laura Kovesi – et des procureurs européens ont été nommés. Ils forment le Bureau central (qui est « composé du collège, des chambres permanentes, du chef du Parquet européen, des adjoints au chef du Parquet européen, des procureurs européens et du directeur administratif » – art. 8 du règlement du 12 octobre 2017). La mission attribuée au Bureau central sera de superviser et de coordonner les enquêtes menées au sein de chaque État participant. Au niveau décentralisé, c’est-à-dire sur le territoire des vingt-deux États participants, ces enquêtes seront conduites par des procureurs délégués européens. Ces derniers seront chargés sur l’ensemble du territoire français « de rechercher, de poursuivre et de renvoyer en jugement les auteurs et complices » des infractions visées par le règlement du 12 octobre 2017 (art. 696-18 du CPC). Lorsque ce parquet se saisira de la poursuite d’une infraction, les autorités nationales devront s’abstenir de lancer des poursuites.

 

L’indépendance du Parquet européen est affirmée par le règlement du 12 octobre 2017. Cette caractéristique tranche de façon assez nette avec le statut du parquet au niveau national, qui lui est placé sous la tutelle de l’exécutif. Les représentants du ministère public sont en effet nommés par décret du Président de la République sur proposition du garde des Sceaux après avis simple du Conseil supérieur de la magistrature, sont amovibles et révocables et peuvent recevoir des instructions générales émanant du ministre de la justice (art. 30 du CPP). L’institution de ce parquet indépendant est donc de nature à relancer le débat récurrent sur l’indépendance de notre parquet national. En effet, les fonctions de procureur national et de procureur délégué européen pourront être cumulées, ce qui induira que selon les infractions poursuivies le procureur soit indépendant ou non. Cette configuration peu cohérente est d’ailleurs l’une des raisons qui a conduit François Molins, actuel procureur général près la Cour de cassation, à formuler il y a peu un « Plaidoyer pour une indépendance statutaire des magistrats du parquet » (F. MOLINS, A. TALEB-KARLSSON, AJ Pénal 2021, p. 23).

 

 

 

 





LES AVOCATS ALTA-JURIS