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L’interdiction de déléguer l’exercice de la force publique à des personnes privées, nouveau principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France


3 novembre 2021
Par Madame Cécile GRANIER, Maître de Conférences en droit Privé à l'Université Jean Moulin LYON III.



  • Décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021

La question des rapports – de domination ou de soumission – qu’entretiennent les constitutions nationales et les conventions internationales – au premier chef desquelles celles instituant le droit de l’Union européenne – apparaît décidemment au cœur de l’actualité automnale.

Sur ce thème, il faut évidemment mentionner la décision du Tribunal constitutionnel polonais du 7 octobre dernier par lequel ce dernier a déclaré incompatible certaines dispositions figurant dans le Traité sur l’Union européenne (notamment l’article 2 relatif aux valeurs de l’Union) avec la Constitution polonaise.

Cette décision donne actuellement lieu à un bras de fer, qui prend une tournure assurément politique, entre la Commission européenne et l’État polonais.

De façon moins retentissante, la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 15 octobre 2021 aborde une problématique similaire.

Le Conseil avait été saisi par la société Air France d’une question prioritaire de constitutionalité visant à juger la conformité à la Constitution de certaines dispositions issues du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Les textes contestés prévoyaient en substance que les transporteurs qui ont acheminé une personne à qui l’accès au territoire français est refusé sont « tenues de ramener sans délai (…) cet étranger au point où il a commencé́ à utiliser le moyen de transport de cette entreprise, ou, en cas d’impossibilité́, dans l’État qui a délivré́ le document de voyage avec lequel il a voyagé́ ou en tout autre lieu où il peut être admis », et ce sous peine d’une amende administrative pouvant atteindre 30.000 euros. Condamnée sur ce fondement au paiement de deux amendes, Air France a soulevé l’inconstitutionnalité de ces textes.

Au soutien de sa demande, cette société arguait du fait que les mesures contestées avaient pour conséquence de « déléguer à une personne privée des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la force publique, en violation de l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ».

L’une des difficultés auxquelles s’est heurté le Conseil constitutionnel dans le cadre de son contrôle résidait dans le fait que les textes visés ne constituaient rien de plus que la transposition au sein de notre ordre juridique d’une disposition provenant du droit de l’Union européenne.

Dans ce contexte, le Conseil constitutionnel se contente de rappeler son incompétence de principe : il ne peut « contrôler la conformité à la Constitution de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d’une directive ou des dispositions d’un règlement de l’Union européenne ».

Une limite, déjà identifiée en 2006 et qui a son importance, est néanmoins clairement rappelée : la transposition d’une directive ou l’adaptation du droit interne à un règlement ne saurait « aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ».

Au sein du système juridique français, la primauté des conventions internationales sur la Constitution n’est donc pas absolue et cède en cas de violation d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France. Voilà qui mérite d’être souligné !

L’enjeu sera alors de déterminer quels principes sont susceptibles d’entrer dans cette catégorie.

La décision est l’occasion d’en identifier un nouveau : l’interdiction de déléguer l’exercice de la force publique à une personne privée. Après l’avoir identifié, le Conseil estime néanmoins que ce principe n’est pas en l’espèce remis en cause par les textes contestés qui n’ont ni pour objet, ni pour effet de confier une telle mission au transporteur. Le texte est donc jugé conforme à la Constitution.





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