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Loyers commerciaux et covid-19 : premières décisions de la Cour de cassation


8 août 2022
Par Cécile Granier



Civ. 3e, 30 juin 2022, n°21-20127 ; n°21-20190 ; n°21-19889

Dire que ces décisions étaient attendues est un euphémisme tant les questions qu’elles tranchent ont agité praticiens et universitaires depuis le mois de mars 2020 et la fermeture administrative des commerces suite à l’épidémie de covid-19. En synthèse, il s’agissait de déterminer si le preneur à bail d’un commerce fermé du fait d’une mesure de police administrative dispose d’un fondement juridique lui permettant de se soustraire au paiement des loyers correspondant aux périodes de fermeture. Outre son intérêt théorique, le contentieux revêtait un fort enjeu économique. Comme le précise la haute juridiction judiciaire dans le communiqué accompagnant ses décisions, le ministère de l’économie, des finances et de la relance chiffre à plus de trois milliards le montant des loyers et charges locatives immobilisés suite au non-paiement des preneurs.

Parmi les fondements juridiques invoqués par les commerçants, l’on trouvait logiquement la force majeure. L’épidémie de covid et/ou les mesures administratives consécutives ne constituaient-elles pas des événements « échappant au contrôle du débiteur » ne pouvant « être raisonnablement prévus lors de la conclusion du contrat » de bail commercial dont « les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées », qui ont empêché le débiteur d’exécuter ses obligations de paiement (art. 1218 al. 1 C. civ.) ? Dans l’affirmative, ces obligations sont suspendues pendant la durée de la fermeture administrative, soit anéanties du fait de la résolution du contrat (art. 1218 al. 2 C. civ.). Le droit des contrats spéciaux avait également été mobilisé par les preneurs. Ces derniers tentaient de faire reconnaître un manquement du bailleur à son obligation de délivrance justifiant une inexécution corrélative sur le fondement de l’exception d’inexécution (art. 1219 C. civ.) ou encore l’assimilation de la fermeture des commerces à la perte de la chose louée au sens de l’article 1722 du Code civil, fondant notamment une diminution du prix.

La diversité des décisions du fond rendues sur ce sujet, bien souvent en référé, rendait nécessaire une intervention de la Cour de cassation afin que celle-ci satisfasse à sa mission première : unifier l’interprétation du droit. Saisie de plus de trente pourvois, elle en a retenu trois lui permettant, selon ses termes, « de répondre à des questions de principe posées par cette situation » et donc de définir sa jurisprudence.

Les décisions du 30 juin 2022 laisseront les preneurs et leurs avocats bien démunis puisque la troisième chambre civile de la Cour de cassation écarte tour à tour chacun des fondements invoqués au soutien du non-paiement des loyers. Elle refuse tout d’abord de constater une quelconque inexécution du bailleur. La fermeture administrative ne saurait être assimilée à un manquement du loueur à son obligation de délivrance : la mesure de fermeture ne lui est pas « imputable » du fait de son effet « général et temporaire, sans lien avec la destination contractuelle du local loué ». Les locataires ne peuvent dès lors se prévaloir de l’exception d’inexécution pour refuser de payer les sommes dues. C’est en considération de la même justification que la Cour de cassation réfute l’existence d’une « perte de la chose louée » au sens de l’article 1722 du Code civil. C’est enfin la force majeure qui est désactivée. Sans laisser la place à une discussion casuistique sur la réunion des critères de la force majeure (extériorité, imprévisibilité et irrésistibilité), la troisième chambre se fonde sur la qualité de celui qui invoque l’évènement de force majeure. Dans les configurations envisagées, il s’agit du créancier de l’obligation de délivrance et de jouissance du bien. Or, selon la solution retenue, « le créancier qui n’a pu profiter de la contrepartie à laquelle il avait droit ne peut obtenir la résolution du contrat ou la suspension de son obligation en invoquant la force majeure ». Est donc réitérée une solution précédemment affirmée dans un arrêt remarqué du 25 novembre 2020 (Civ. 1ère, 25 nov. 2020, n°19-21060). La force majeure s’avère donc totalement inutile pour les preneurs.

Faute de fondements justifiant une suspension ou une résolution de leurs obligations de paiement pendant la période litigieuse, les sommes sont bien dues sur le fondement du contrat de bail commercial, dont la force obligatoire ne saurait être entachée. L’heure du paiement pour les locataires semble donc venue, et ce d’autant plus que la Cour de cassation valide la solution d’une cour d’appel ayant retenu que l’obligation de paiement du loyer n’est pas sérieusement contestable, ce qui ouvre la voie à des actions en paiement en référé pour les bailleurs.





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