La récente proposition de loi visant à réformer le régime de la responsabilité civile et à améliorer l’indemnisation des victimes, déposée le 16 septembre 2025 par le député Sacha Houlié, marque peut-être le retour sur le devant de la scène d’un projet annoncé de longue date. Après la réforme de la prescription, puis celle du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, l’heure serait-elle enfin venue pour la responsabilité civile ?
On le sait, celle-ci demeure régie, pour l’essentiel, par quelques articles à peine retouchés depuis 1804. Les tentatives de modernisation se sont pourtant succédé sans jamais aboutir. De l’avant-projet Catala (2006), première tentative de refonte d’ensemble intégrant déjà la notion de préjudice écologique et les dommages-intérêts punitifs, au rapport Anziani-Béteille (2009–2010), en passant par l’avant-projet Terré (2011), soucieux de réordonner les régimes autour de la nature du préjudice, chaque initiative a semblé préparer la suivante. Le projet présenté en 2017 par le garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas devait, à son tour, prolonger la réforme du droit des contrats en unifiant les fondements de la responsabilité civile. Resté sans suite, il a néanmoins inspiré la proposition de loi sénatoriale de 2020, elle-même demeurée lettre morte.
Cette inertie n’a, certes, pas empêché le législateur d’intervenir pour retoucher ponctuellement le Code civil. La reconnaissance du préjudice écologique (art. 1246) en 2016, la codification du trouble anormal de voisinage (art. 1253) en 2024, la création d’une sanction civile pour faute lucrative (art. 1254) et la réécriture de la responsabilité des parents (art. 1242, al. 4) en 2025 en témoignent. Pourtant, ces modifications, loin de constituer une véritable réforme d’ensemble, illustrent plutôt le morcellement progressif d’une matière que la jurisprudence a largement façonnée. C’est précisément ce saupoudrage que le député Houlié entend dépasser. Le texte reprend plusieurs éléments du projet de 2017 en les recentrant principalement sur la protection et l’indemnisation des victimes.
Parmi les principales innovations figure d’abord l’introduction d’une définition générale du préjudice réparable, présenté comme « tout préjudice certain résultant d’un dommage et consistant dans la lésion d’un intérêt licite ». Le texte consacre également la fonction préventive de la responsabilité civile (la victime peut obtenir le remboursement des dépenses engagées pour éviter la survenance ou l’aggravation d’un dommage), et prévoit d’introduire une procédure de cessation de l’illicite dans le Code civil. La proposition institue en outre une amende civile, destinée à sanctionner la faute lucrative, entendue comme la faute délibérée commise dans le but de réaliser un gain ou une économie supérieurs au coût de la réparation du dommage. Enfin, le texte prévoit l’unification du régime applicable aux dommages corporels, les victimes relevant désormais du seul régime de la responsabilité extracontractuelle. Les règles d’évaluation et d’indemnisation sont ainsi rendues identiques pour les matières judiciaire, administrative et transactionnelle. Mais surtout, la proposition reprend l’un des éléments phares des différents projets en instaurant un ensemble de règles et d’outils uniques, largement inspirés de la loi Badinter.
Reste à savoir si cette initiative pourra rompre avec la longue série d’entreprises inachevées qui jalonnent l’histoire de la réforme de la responsabilité civile. Le dépôt d’un texte, on le sait, ne préjuge pas de son adoption, mais la proposition Houlié a, au moins, le mérite de ranimer un chantier dont la doctrine ne cesse de rappeler l’urgence.