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Qu’est-ce qu’un déchet ?


21 avril 2022
Par Marie POTUS
Doctorante en droit Privé à l’Université Jean Moulin LYON III



La qualification juridique du déchet constitue, à n’en pas douter, une question d’importance tant elle conditionne l’application de normes contraignantes et coûteuses pour celui qui les produit ou les détient. L’article L. 541-2 du Code l’environnement prévoit en effet que ce dernier est « tenu d’en assurer ou d’en faire assurer la gestion ». Il doit également s’assurer que « la personne à qui il les remet est autorisée à les prendre en charge ». C’est d’ailleurs dans cet objectif de gestion optimale des déchets que l’article R. 543-145 du Code de l’environnement subordonne la collecte des déchets de pneumatique à la délivrance d’un agrément préfectoral.

Pour échapper à cette obligation et faire annuler un arrêté du préfet de la Côte d’Or la mettant en demeure de régulariser sa situation et lui interdisant, à titre transitoire, de réceptionner et exporter ses déchets de pneumatiques, une société, spécialisée dans l’achat et la revente de pneus d’occasion faisait valoir, auprès du tribunal administratif, que les pneus dont dépend son activité ne peuvent être regardés comme des déchets, car ils sont « dans un état assurant de façon certaine leur réutilisation dans l’usage initial, sans transformation ou réhabilitation préalable ». Déboutée en première instance, elle obtient gain de cause en appel, la cour administrative d’appel estimant que « la seule circonstance que les pneus collectés par la société ont été acquis par elle auprès de détenteurs tels que des garages ou de centres de véhicules hors d’usage, ne suffit pas à leur conférer la qualité de déchet de pneumatique dès lors qu’elle ne détermine ni l’état d’usure des pneus et leur capacité à pouvoir rouler sans enfreindre la réglementation applicable, ni par suite, leur utilisation ultérieure sans transformation préalable. En achetant ces pneumatiques dans le but de les vendre comme pneus d’occasion en France ou en les exportant, la société leur confère une utilisation qui peut être regardée comme certaine ».

Saisie d’un pourvoi par le ministre de la Transition écologique et solidaire, il incombait au Conseil d’État de clarifier les critères de la définition du déchet en répondant à la question de savoir si un bien peut être défini comme tel même s’il possède une valeur commerciale ou est susceptible de donner lieu à une réutilisation économique. Dans sa décision du 24 novembre 2021 (n° 437105), la haute Cour conclut par l’affirmative ! Après avoir rappelé qu’un déchet se définit, au sens de l’article L. 541-1-1 du Code de l’environnement, comme « toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire », le Conseil d’État précise qu’un déchet demeure un déchet qu’il ait été ou non recherché comme tel dans le processus de production dont il est issu, à moins que son utilisation ultérieure, sans transformation préalable, soit certaine. Étant précisé, par ailleurs, qu’il n’y a pas lieu de tenir compte du point de savoir si le bien en cause a une valeur commerciale et est susceptible de donner lieu à une réutilisation économique. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’il peut être recyclé et/ou revendu, qu’un bien ne peut plus être défini comme un déchet. Par conséquent, en l’espèce, puisque la société n’apportait aucune preuve permettant de soutenir que les pneus seraient dans un état assurant de façon certaine leur réutilisation en l’état, ils conservaient la qualité de déchet de sorte que l’activité de la société demeurait soumise à l’agrément prévu par le Code de l’environnement.

L’intérêt de la décision est donc double au regard de la définition du déchet. Elle rappelle, d’une part, que l’élément central de la définition est le fait de savoir si le détenteur du bien a entendu s’en défaire et souligne, d’autre part, la nécessité d’un examen au cas par cas du cadre juridique du déchet en cause pour caractériser les critères de « l’utilisation ultérieure » et « sans transformation préalable ». (Voir LACROIX-DE SOUSA S., Chronique du droit des biens, Revue Lamy droit civil, n° 200, décembre 2021).





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