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Reconnaissance du préjudice d’angoisse de mort imminente et du préjudice d’attente et d’inquiétude des proches de victimes


2 juin 2022
Par Cécile Granier



  • mixte, 25 mars 2022, n° 20-15624, n° 20-17072

Le 25 mars dernier, une chambre mixte de la Cour de cassation a rendu deux décisions dotées d’une résonance singulière dans le contexte du procès des attentats du 13 novembre 2015. La Cour de cassation y affirme la spécificité de deux postes de préjudice, qui pourraient notamment être invoqués par les victimes d’actes terroristes. Il s’agit, d’une part, du préjudice d’angoisse de mort imminente et, d’autre part, du préjudice d’attente et d’inquiétude des proches de victimes exposées à un péril grave.

Dans la première espèce, une personne était décédée quelques heures après une agression à l’arme blanche, après avoir été transportée à l’hôpital dans un état de conscience. La cour d’appel saisie avait reconnu l’existence d’un préjudice spécifique tenant en « la conscience de sa mort imminente, du fait de la dégradation progressive et inéluctable de ses fonctions vitales » et l’avait indemnisé de façon autonome. Dans son pourvoi, le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) contestait cette indemnisation en estimant que ce préjudice avait déjà été indemnisé sur le fondement d’un autre poste prévu par la nomenclature Dinthilac : celui des souffrances endurées. La Cour rejette l’argumentation du fonds et reconnaît l’existence spécifique du préjudice d’angoisse de mort imminente.

Dans la seconde espèce, les proches (enfant et petits-enfants) d’une victime d’un attentat avaient notamment été dédommagés par une cour d’appel pour un préjudice spécifique « d’attente et d’inquiétude ». Au courant de la présence de la victime sur les lieux de l’attentat, ses proches étaient restés dans l’incertitude quant au sort de leur mère et grand-mère pendant quatre jours. Dans son pourvoi, le FGTI contestait cette indemnisation en estimant que ce préjudice avait déjà été indemnisé sur le fondement du poste « préjudice d’affection » prévu par la nomenclature Dinthilac. À nouveau, la Cour rejette le pourvoi et reconnaît l’existence d’un préjudice spécifique résultant de « la souffrance qui survient antérieurement à la connaissance de la situation réelle de la personne exposée au péril et qui naît de l’attente et de l’incertitude ».

L’affirmation de la spécificité de ces préjudices est remarquable à plusieurs titres. Tout d’abord, elle devrait aboutir à une meilleure indemnisation des proches de victimes décédées, que ce soit au titre du préjudice d’angoisse de mort imminente dont peuvent se prévaloir les ayants droit ou au titre de l’attente et de l’inquiétude des victimes par ricochet. Comme le mentionne la Cour, le principe de réparation intégrale exige une indemnisation autonome de ces préjudices, qui devrait être supérieure à celle octroyée lorsqu’ils étaient rattachés à d’autres postes (souffrances endurées et préjudice d’affection).

C’est ensuite la première fois que la Cour de cassation accepte de reconnaître des préjudices non listés par la nomenclature Dinthilac. L’indemnisation du dommage corporel présente en effet la particularité de s’appuyer sur cette nomenclature, qui établit une liste des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux potentiellement subis par les victimes. Bien que dénuée de valeur législative ou réglementaire, la nomenclature est une référence incontournable pour les magistrats chargés de statuer sur l’indemnisation des dommages corporels. Pourtant déjà bien fournie, cette liste ne mentionne ni le préjudice d’angoisse de mort imminente, ni celui d’attente et d’inquiétude des proches de victimes. Il s’agissait dès lors de déterminer si les juges pouvaient s’éloigner de la liste définie par la nomenclature. Les décisions rendues apportent une réponse positive et consacrent donc la reconnaissance de préjudices « hors nomenclature ».

La décision découlant du pourvoi n° 20-15624 est enfin remarquable car elle devrait mettre fin à une divergence jurisprudentielle à propos de l’autonomie du préjudice d’angoisse de mort imminente. La chambre criminelle avait déjà statué en ce sens et admis l’indemnisation autonome de ce préjudice (Cass. crim., 23 octobre 2012, n° 11-83.770), ce à quoi la deuxième chambre civile s’opposait (Cass. 2e civ., 18 avril 2013, n° 12-18.199). C’est ce contexte qui a notamment justifié la réunion d’une chambre mixte.

Cette reconnaissance de deux nouveaux préjudices a sans conteste une valeur symbolique et va dans le sens d’une meilleure reconnaissance des souffrances des victimes de dommage corporel avec pour toile de fond la récurrence des actes terroristes. Cependant, ces décisions ne manqueront pas de relancer les débats classiques en droit du dommage corporel : l’affirmation de nouveaux préjudices ne constitue-t-elle pas un pis-aller face à l’impossibilité de « réparer l’irréparable » ? Faut-il encore reconnaître de nouveaux préjudices, quitte à « émietter » toujours plus la réparation du dommage corporel ?





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