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Conservation et accès aux données de connexion


24 août 2022
Par Cécile Granier



  • Crim., 12 juillet 2022, n° 21-83.710, 21-83.820, 21-84.096 et 20-86.652

Lors de sa récente allocution prononcée à l’occasion de son installation dans ses fonctions, le nouveau premier président de la Cour de cassation – Christophe Soulard – rappelait que le juge national doit écarter la loi lorsque celle-ci s’avère contraire aux normes européennes. Il insistait également sur l’importance du dialogue des juges, notamment nationaux et européens. Quatre récentes décisions de la Cour de cassation relatives à la conservation et de l’accès aux données de connexion dans les enquêtes pénales illustrent la mise en œuvre de ce contrôle de conventionnalité ainsi que les bouleversements et les oppositions qu’il est susceptible de générer.

 

Conservation des données de connexion

Estimant que la conservation des données de connexion (matérialisées dans les fameuses fadettes contenant les données de trafic et les données de localisation) porte atteinte au droit à la vie privée protégé par la Charte des droits fondamentaux de l’UE, la CJUE a, dans une retentissante décision, restreint les conditions de leur conservation (CJUE, 6 octobre 2020, aff. C-511/18, C-512/18, C-520/18, La Quadrature du net). Elle a notamment précisé qu’une conservation indifférenciée et généralisée des données de connexion ne pouvait être imposée par une législation nationale aux opérateurs de communication électronique, aux fournisseurs d’accès internet et aux hébergeurs. Elle a ensuite encadré leur possible conservation et les formes de leur traitement en fonction de l’objectif poursuivi.

S’appuyant sur cette décision européenne, des personnes poursuivies pour des infractions graves – meurtre et trafic de stupéfiants – avaient demandé l’annulation de la réquisition de leurs données de connexion au motif d’une conservation irrégulière car non conforme au droit de l’UE. À l’époque, la loi française imposait en effet une conservation généralisée pour une durée d’un an pour la recherche des infractions sans distinction des motifs de conservation.

Le 12 juillet dernier, la Cour de cassation a repris à son compte la solution européenne et a confirmé que la conservation générale des données anciennement prévue par le droit français était contraire au droit de l’UE. Elle a ensuite précisé les cas dans lesquels cette conservation reste autorisée et leurs modalités. À ce titre figurent notamment les cas de menace pour la sécurité nationale, qui avaient été caractérisés dans les affaires en cause. Dans ce contexte, la règlementation nationale prévoyant la conservation générale des données pour la protection des intérêts fondamentaux de la nation et la lutte contre le terrorisme est déclarée conforme au droit de l’UE. Dès lors, dans les espèces en cause, les données de connexion ont été régulièrement conservées.

 

Accès aux données de connexion

Reprenant là encore une solution européenne récente (CJUE, 2 mars 2021, H.K. c. Prokuratuur C-746-18), la Cour de cassation vient préciser que seule une autorité judiciaire ou une entité administrative indépendante peut autoriser l’accès aux données de connexion. Par conséquent, le procureur de la République, qui n’est ni l’un, ni l’autre, ne peut contrôler l’accès aux données de connexion et une loi qui le permettrait est contraire au droit de l’Union européenne. Dans l’une des espèces, l’accès des enquêteurs à des données de connexion dans le cadre d’une enquête de flagrance menée sous le contrôle du procureur de la République est donc jugé irrégulier.

Comme on pouvait le présager, cette décision a provoqué ire et inquiétude du côté du Parquet. Suite à ces décisions, la Conférence nationale des procureurs de la République a publié un communiqué s’inquiétant des conséquences de cette décision sur le bon déroulement des enquêtes pénales. Comme le souligne à juste titre ce communiqué, c’est plus largement la question de la compatibilité du système pénal français au droit européen qui devra à un moment ou à un autre être posée et tranchée.

 





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