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Le contrôle des « foires aux questions » par le juge administratif


6 mars 2023



  • Conseil d’État, 3 février 2023, n°451052

 

Elles avaient fleuri pendant la crise sanitaire afin de répondre promptement aux interrogations nombreuses des justiciables dans un contexte d’incertitude généralisée et de frénésie normative. Déjà pratiquées par certaines institutions européennes, à l’instar de la Commission européenne ou des Autorités européennes de surveillance (Autorité européenne des marchés financiers, Autorité bancaire européenne), les foires aux questions constituent un moyen pour une autorité administrative ou exécutive de, notamment, préciser la teneur d’un texte en apportant des réponses à des questions identifiées. Les ministères de la santé et de l’économie ont particulièrement éprouvé cette technique pendant la première année ayant suivi l’épidémie de Covid pour préciser le sens des multiples ordonnances et décrets adoptés. Dans ce cadre, l’auteur de la foire aux questions fournit son interprétation du texte auquel elle se rapporte, ce qui n’est pas dénué de portée normative et créative. Des instruments voisins, car répondant peu ou prou aux mêmes besoins, tels que les circulaires, les rescrits ou les réponses ministérielles le confirment : ces instruments peuvent-être porteurs de normes nouvelles. Dès lors, quelle marge de manœuvre lorsque l’interprétation d’un texte figurant dans une foire aux questions est suspectée d’illégalité ? Un justiciable peut-il en obtenir l’annulation par le biais d’un recours pour excès de pouvoir ou la nature souple de la foire aux questions empêche-t-elle l’ouverture d’un tel recours ?

La décision du Conseil d’État du 3 février 2023 intervient suite à la contestation par un justiciable de l’interprétation fournie par les services du ministère de l’économie, des finances et de la relance dans une foire aux questions accompagnant le décret du 30 mars 2020 relatif à la mise en œuvre du fonds de solidarité aux entreprises institué par l’ordonnance du 25 mars 2020. La réponse litigieuse portait sur le champ d’application du texte. Dans le point 12 de sa foire aux questions figurait en effet la question suivante : « Les loueurs en meublés non professionnels sont-ils éligibles au fonds de solidarité ? ». La réponse apportée par le ministère était négative : « (…) les loueurs en meublés non professionnels ne sont pas éligibles au fonds ».

Le ministre de l’économie estimait que la voie du recours pour excès de pouvoir était fermée. Le juge administratif contredit cette position en retenant au contraire que des réponses figurant dans une foire aux questions peuvent faire, sous certaines conditions, l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Reprenant une formule inaugurée avec les arrêts Fairvesta et Numéricable (CE, 21 mars 2016, n°368082 et n°390023) puis confirmée et élargie par la décision Gisti (CE, 12 juin 2020, n°418142), le Conseil d’État confirme la possibilité d’intenter un recours contre des « documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes (…) lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre ». À l’évidence, cela était bien le cas pour cette réponse qui privait les loueurs en meublés non professionnels du fonds de solidarité.

Pour jauger de la légalité du texte, le Conseil d’État mobilise le décret du 30 mars 2020 et l’article 155 du CGI, qui érige des seuils au-delà desquels l’activité de location de locaux d’habitation meublés est exercée à titre professionnel. Concernant les bénéficiaires potentiels du fonds de solidarité, le décret précisait que le bénéficiaire devait être « une personne physique ou morale de droit privé résidente fiscale française exerçant une activité économique (…) ». Parmi les conditions matérielles permettant de bénéficier du fonds figurait celle tenant dans l’exercice de certaines activités principales et notamment celles d’ » Hôtels et hébergement similaire  » et  » Hébergement touristique et autre hébergement de courte durée « .

Le Conseil d’État estime que les services du ministère en retenant l’interprétation litigieuse ont méconnu les textes du décret car la personne qui a une activité de location meublée, même à titre non professionnel si ces recettes sont inférieures aux seuils visés par l’article 155, exerce bien une activité économique, qui peut être exercée à titre principal au sens du décret. La réponse litigieuse figurant au point 12 de la foire aux questions est en conséquence annulée. Voilà de quoi inciter les services ministériels et autres autorités à la prudence dans la rédaction des foires aux questions !





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