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Devoir de vigilance : de petites précisions et de grandes questions


28 avril 2023



  • TJ Paris, 28 février 2023, n°22-53942 et n°22-53943

 

Le 28 février dernier, le Tribunal judiciaire de Paris a rendu deux décisions au cœur desquelles se trouvent les dispositions du Code de commerce ayant institué un devoir de vigilance pour les sociétés mères et les entreprises donneuses d’ordres (art. L. 225-102-4 et L. 225-102-5 C. com.). Elles étaient particulièrement attendues, principalement du fait de trois considérations. Tout d’abord, parce que la création de ce devoir de vigilance marque une évolution significative de notre droit des affaires, sous l’influence conjuguée de la RSE (responsabilité sociale des entreprises) et de la compliance. Ensuite, parce que les ONG se sont largement saisies de ce texte et ont assigné sur ce fondement plusieurs grandes entreprises françaises (TotalEnergies, Danone, BNP Paribas, Casino etc..). Enfin, parce que le texte érigeant ce devoir de vigilance laisse en suspens de nombreuses questions quant à la portée concrète des lourdes obligations qu’il a instituées. Il en résulte de fortes incertitudes quant aux manquements susceptibles d’engager la responsabilité des entreprises visées. Dans ce contexte, il est probable que les juges contribueront de façon déterminante à dessiner la teneur de ce devoir de vigilance.

Ces décisions s’inscrivent dans le cadre du médiatique contentieux initié par six associations à l’encontre de la société TotalEnergies afin de la conduire à mettre fin à son projet d’oléoduc géant en Ouganda et en Tanzanie. Pour ce faire, les associations ont, conformément à ce que prévoit l’article L. 225-102-4 II, mis en demeure la société TotalEnergies de respecter son devoir de vigilance. L’article L. 225-102-4 prévoit en effet que les entreprises qui excèdent certains seuils sont tenues d’établir et de mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance et ceci dans toute la chaîne de valeur de la société, c’est-à-dire en son sein, dans ses filiales, mais également auprès « des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation ». Après plusieurs actions visant à identifier les risques, le plan doit notamment comprendre des « (…) actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves ». Or, les associations ont estimé qu’eu égard à son projet TotalÉnergies manquait à ces obligations et ont donc saisi en référé un juge afin de faire cesser le trouble manifestement illicite qui en résultait selon elles.

Les décisions du 28 février 2023 ne font pas droit aux associations. Cette solution était assez prévisible tant l’appréciation du caractère suffisant du plan de vigilance s’annonce complexe et technique et ne peut dès lors relever du juge des référés. À cet égard, le jugement prend soin de préciser « de manière surabondante » que le défendeur ayant publié un plan de vigilance contenant les rubriques légalement requises, dont le contenu n’apparaît pas sommaire, l’appréciation du caractère suffisant de ce plan excède l’office du juge des référés et requiert une appréciation au fond.

Ce n’est toutefois pas ce point qui fonde, à titre principal, le rejet des demandes. Il est en effet reproché aux associations de ne pas avoir réitéré leur mise en demeure. Celle venant au soutien de l’action en cause a été réalisée le 24 juin 2019. Or, le tribunal souligne que de nouveaux griefs ont depuis été formulés et que ceux-ci n’ont pas été notifiés à la société TotalEnergies, notamment ceux concernant son plan de vigilance pour 2021. Le tribunal conclue dès lors à l’irrecevabilité des demandes.

Les mises en demeure devront donc être réitérées en fonction des évolutions des demandes et les actions visant à constater les manquements aux obligations de vigilance devront être menées au fond. Voilà donc les premiers enseignements que nous livrent les décisions visées quant à la mise en œuvre du devoir de vigilance.





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