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Non-application de la procédure de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime devant l’Autorité de la concurrence


29 novembre 2021
Par Madame Cécile GRANIER, Maître de Conférences en droit Privé à l'Université Jean Moulin LYON III.



  • 2e, 30 septembre 2021, n° 20-18672, n° 20-18302

Le développement contemporain de la régulation a eu pour conséquence le transfert de certaines compétences initialement détenues par des juridictions à des autorités de régulation. Il en va ainsi du pouvoir de sanctionner pécuniairement des opérateurs contrevenant à certaines de leurs obligations que détient par exemple l’Autorité de la concurrence (ADLC) ou encore l’Autorité des marchés financiers (AMF).

Ce transfert de compétences justifie que les opérateurs économiques, désormais exposés à des sanctions administratives qui peuvent atteindre des montants considérables, tentent de faire valoir devant ces autorités de régulation les règles procédurales applicables devant les juridictions qui garantissent la protection de leurs droits.

C’est en l’espèce les procédures de récusation et de renvoi pour cause de suspicion légitime qui étaient en cause. Prévues à l’article 341 et suivants du CPC, elles offrent au justiciable un moyen d’action en cas de suspicion d’impartialité à l’occasion d’une procédure judiciaire en leur permettant dans certaines hypothèses déterminées soit de récuser un juge, soit de dessaisir une juridiction.

L’une des parties poursuivies par l’Autorité de la concurrence dans le cadre d’une entente invoquait l’application des articles 341 et suivants au soutien d’une demande de récusation du rapporteur désigné au motif allégué de son impartialité.

Cette demande pouvait sembler fondée au regard d’une précédente décision de la Cour de cassation ayant validé l’application de la procédure de renvoi pour cause de suspicion légitime devant l’Autorité Polynésienne de la concurrence (Cass. 2e civ., 4 juin 2020, n° 19-13.775).

Pourtant, à l’issue d’une motivation étoffée, la Cour de cassation affirme que « les articles 341 et suivants du code de procédure civile instituant, devant les juridictions judiciaires statuant en matière civile, une procédure de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime, ne s’appliquent pas à l’Autorité de la concurrence ».

Tant cette solution que le cheminement pour y parvenir méritent attention. Pour fonder une telle conclusion, la Cour de cassation s’appuie sur la jurisprudence d’autres juridictions et illustre ainsi un « dialogue des juges ». Est ainsi mise en avant la position du Conseil constitutionnel qui qualifie l’Autorité de la concurrence d’« autorité non juridictionnelle ».

De même, une référence est faite à la position de la Cour de justice de l’Union européenne qui refuse de reconnaître le statut de « juridiction » au sens de l’article 267 du TFUE aux autorités de régulation, ce qui les prive de la possibilité de poser une question préjudicielle. Si ces qualifications ont pu inspirer la Cour de cassation et peser sur sa décision, cette dernière restait néanmoins libre d’y adhérer ou non.

À l’instar du raisonnement mené dans la décision du 4 juin 2020, elle aurait en effet pu conclure que ces textes étaient applicables devant l’Autorité de la concurrence. Pour ce faire, elle aurait pu s’appuyer sur l’interprétation que la Cour européenne des droits de l’homme retient de l’article 6 de la CESDH. Cette dernière qualifie en effet les autorités de régulation de « tribunal » au sens de cet article dès lors qu’elles se prononcent sur des « accusations en matière pénale », ce qui est le cas dans le cadre de procédures répressives pouvant aboutir au prononcé de sanctions administratives.

Une telle assimilation suggère que toutes les garanties tenant à leur impartialité puissent être invoquées devant les autorités de régulation. .

Pour autant, la Cour de cassation estime que les exigences découlant de l’article 6 de la CESDH sont remplies dès lors que les décisions de l’autorité de régulation peuvent elles-mêmes faire l’objet d’un recours de pleine juridiction.

Dans cette décision, la Cour de cassation semble donc se focaliser sur le statut de l’autorité qui, malgré l’exercice de fonctions juridictionnelles, reste une autorité administrative et non une juridiction, ce qui la place hors du champs d’application du Code de procédure civile.





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