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Non Fungible Token : quelques enjeux juridiques de cette révolution numérique !


28 janvier 2022
Par Marie POTUS
Doctorante en droit Privé à l'Université Jean Moulin LYON III



107 000 euros, c’est le prix qui a été déboursé, le 21 décembre dernier, pour acquérir le premier SMS de l’histoire, un simple « Merry Christmas », envoyé en 1992 par un employé de la compagnie de téléphone Vodafone. Absurde ? Tant s’en faut, car l’acheteur, en plus d’avoir fait les unes des médias, est désormais l’heureux propriétaire de l’unique réplique numérique du protocole de communication original qui a transmis ce texto. Bienvenue dans le monde fascinant des Non Fungible Token (NFT) !

Apparus en 2017 dans le domaine des jeux vidéo, les NFT – ou jetons non fongibles – ont connu un essor considérable au cours de la dernière année grâce au marché de l’art. Pour cause : la « tokenisation » de l’art permet non seulement d’identifier les œuvres numériques, mais également de leur attribuer une seule et unique propriété. Elle garantit ainsi l’unicité et l’authenticité de l’art digitalisé et offre une sécurité à l’acheteur en inscrivant son titre de propriété dans un écosystème.

Concrètement, l’innovation technique consiste à créer et encoder l’empreinte numérique d’une œuvre pour l’entrer dans la blockchain (technologie de stockage et de transmission d’informations), ensuite de quoi l’œuvre est divisée en une quantité de jetons, représentant chacun une partie définie de l’œuvre. Chaque jeton peut alors être mis en vente pour une valeur correspondant au prix de l’œuvre divisé par le nombre de jetons. Les NFT sont donc des objets uniques et c’est d’ailleurs en cela qu’ils se distinguent des cryptomonnaies telles que le bitcoin dans la mesure où ces derniers sont interchangeables.

Les promesses des jetons non fongibles (authenticité, transférabilité, traçabilité, inviolabilité, propriété) sont néanmoins loin de se restreindre à la seule sphère artistique. Le phénomène s’exporte aujourd’hui bien au-delà des domaines du jeu vidéo et de l’art puisque ce sont désormais des tweets, des rediffusions, des mèmes, ou… des SMS qui sont vendus, sous forme de NFT, aux plus offrants !

Les possibilités offertes par ces nouveaux objets numériques ne font cependant pas que bousculer les usages et les pratiques, elles posent au droit des questions fondamentales. Les incertitudes sont nombreuses et balayent toutes les disciplines : droit des obligations, droit pénal, droit fiscal, droit de la propriété intellectuelle, etc. Quid, par exemple, de la protection des données personnelles ? Quid de la responsabilité en cas de crise du système ou de dysfonctionnement de la blockchain ? Quid également de la fiscalité ? Quid de la propriété des objets virtuels tokenisés ? S’agit-il d’une œuvre de l’esprit ? Si oui, le droit de suite peut-il s’exercer ?

Mais c’est avant tout sur la question de la qualification que porte le principal enjeu juridique que soulèvent les NFT : sont-ils des œuvres ? Des supports ? Des certificats d’authenticité ? Ou bien des titres de propriété ? La problématique est d’importance car en fonction de la qualification retenue, ce sont des régimes tout à fait opposés qui pourraient trouver à s’appliquer.

À l’étude, le droit de la propriété intellectuelle semble cependant inadapté pour répondre à la question de la protection des NFT. À supposer en effet que ces jetons puissent être considérés comme des œuvres de l’esprit, encore faut-il que de telles œuvres puissent être qualifiées d’« originales ». Or, sauf à se prononcer en faveur d’une objectivisation du concept d’originalité, celui-ci suppose traditionnellement « l’empreinte de la personnalité de l’auteur » ; personnalité que ne possèdent pas les NFT, publiés sous licence open source.

Les NFT ne semblent donc pas pouvoir être qualifiés d’œuvres. Du reste, en tant que simple lien cryptographique (désignation par une URL, etc.) ils ne nous paraissent pas non plus pouvoir être qualifiés de support, lequel s’apparente davantage à un fichier numérique, un espace de stockage, un disque dur ou encore une carte mémoire. Les NFT pourraient-ils alors être qualifiés de certificats d’authenticité ?

Rien n’est moins sûr dans la mesure où de tels certificats sont censés être délivrés par l’artiste, ses ayants droit ou un expert. Or l’émission d’un jeton ne garantit en rien la qualité de l’émetteur puisqu’il est toujours possible de réaliser un NFT sur l’œuvre d’autrui.

Quant au droit commun des biens, force est de constater que si les NFT créent effectivement un titre de propriété, l’objet de cette propriété demeure difficilement identifiable en raison de la multitude d’objets pouvant être associés aux NFT. Acquiert-on le jeton ? Les droits qui lui sont attachés ? L’objet tokenisé, qu’il soit réel ou virtuel ? Et quid si cet objet est une chose non appropriée (telle que l’image d’une personne ou l’image d’un bien) ? (voir GLEIZE B. et MAFFRE-BAUGE A., « Actualité du droit des technologies nouvelles », Revue Lamy Droit civil, juillet 2021, n° 194, p. 28).

Toute la régulation et le cadre de ces nouveaux objets restent donc à construire et il est heureux de constater que les autorités en prennent doucement la mesure comme en témoigne la parution le 18 novembre du dossier « billets et jetons, la nouvelle concurrence des monnaies » par le Conseil national du numérique ou encore le lancement, par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique d’une mission sur les NFT dont les conclusions sont attendues d’ici le mois de juin 2022.

 





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