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Devoir de vigilance des entreprises : perspectives européennes


13 juin 2022
Par Cécile Granier



Avec l’adoption en 2017 d’une loi relative au devoir des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre obligeant les grandes entreprises à établir des « plans de vigilance », la France a joué un rôle pionnier, eu égard notamment à l’ampleur du dispositif mis en place.

Selon l’article L. 225-102-4 du Code de commerce, ce plan doit contenir « des mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement résultant des activités de la société », de ses filiales directes ou indirectes, « ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation ».

Ce dispositif a la particularité de mobiliser des méthodes relevant de la compliance au service d’un objectif de RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises), un courant de pensée qui promeut le concept « d’entreprise citoyenne » conçue comme une entité tournée vers l’extérieur, consciente des incidences sociétales de son activité et qui agit dans le sens de la préservation de l’environnement et des droits humains et sociaux.

Suite à l’impulsion française, quelques pays européens dont notamment l’Allemagne en 2021, ont consacré des dispositifs semblables. Cependant, le niveau national n’apparaît pas comme le plus opportun pour permettre une mise en œuvre optimale du devoir de vigilance. La dimension supranationale des entreprises concernées mais aussi des problématiques climatiques et sociales plaide en effet pour un réhaussement de la réglementation au niveau de l’Union européenne. Une forte volonté politique s’est d’ailleurs manifestée en ce sens au sein des institutions européennes. Fait remarquable, le Parlement – qui ne dispose pas de l’initiative législative – a adopté le 10 mars 2021 une résolution demandant à la Commission européenne d’élaborer un projet de directive afin de consacrer un devoir de vigilance. La proposition était donc attendue. C’est presque un an plus tard, le 23 février 2022, que la Commission européenne a publié sa proposition de directive portant « sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité ».

Bien que plusieurs associations aient rapidement dénoncé le manque d’ambition et les lacunes du projet européen (voir l’association Sherpa par exemple), la proposition de directive va dans le sens d’un renforcement du dispositif tel qu’il figure actuellement dans le droit français.

Ce renforcement est tout d’abord perceptible en ce qui concerne les entreprises concernées par ce devoir de vigilance puisque son périmètre s’avère plus large. Alors que la loi française ne vise que les entreprises employant 5.000 salariés (si les filiales de l’entreprises ont leur siège en France) ou 10.000 salariés (si le siège des filiales est à l’étranger), le projet de directive propose que soient concernées toutes les entreprises européennes dépassant deux seuils : plus de 500 salariés et un chiffre d’affaires mondial net de plus de 150 millions d’euros. Dans certains secteurs déterminés car présentant des risques accrus, les seuils retenus sont inférieurs (250 salariés et 40 millions d’euros de chiffre d’affaires net au niveau mondial). Si la proposition de directive était adoptée et transposée en ces termes, davantage d’entreprises devraient donc être débitrices de ce devoir de vigilance.

C’est ensuite au plan substantiel que le projet de directives propose des avancées. Par exemple, il requiert des États qu’ils désignent une « autorité de contrôle » charger de vérifier le respect des nouvelles règles par les entreprises et de les sanctionner le cas échéant, ce qui n’existe actuellement pas au niveau national. De même, les administrateurs sont associés par la directive à la mise en place de l’obligation de vigilance.

Il reste désormais à ce que le projet de directive soit adopté par le Parlement européen et le Conseil et puis, surtout, à ce que le texte soit transposé en droit français. Comme ce fut le cas lors de l’adoption de la loi de 2017, chacune de ces étapes génèrera – à n’en pas douter – son lot de controverses et de débats. L’ampleur et l’intensité des discussions ne doivent pas surprendre : elles sont justifiées par le changement de paradigme que suggèrent la mise à la charge des entreprises d’un devoir de vigilance et, plus largement, la transcription juridique de la RSE au sein des systèmes juridiques national et européen.

 





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