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Droit à la preuve : 1 – Loyauté de la preuve : 0


29 janvier 2024
Par Cécile Granier



  • Ass. Plén., 22 décembre 2023, n° 20-20648

 

Depuis que la Cour de cassation a reconnu l’existence d’un droit à la preuve (Cass. civ. 1ère, 5 avril 2012, n° 11-14177), un conflit couvait entre ce droit et l’exigence de loyauté de cette même preuve, également reconnue par la Cour de cassation (Ass. plén. 7 janvier 2011, n° 09-14.316).

Le droit à la preuve trouve son fondement substantiel dans l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui affirme le droit à un procès équitable. Dans ce contexte, ce droit induit que toute personne bénéfice « d’une possibilité raisonnable de présenter (…) ses preuves » (CEDH, 27 octobre 1993, n° 14448/88). Or, l’illicéité et la déloyauté de la preuve constituent des motifs traditionnels de restriction de leur admissibilité. En effet, l’admission de preuves obtenues par des moyens déloyaux (enregistrements clandestins, technique du client mystère etc..) ou illicites, c’est-à-dire en violation d’un droit ou d’une liberté fondamentale (notamment le droit à la vie privée), doit nécessairement être contrôlée, sous peine d’inciter à leur constitution.

Deux pourvois ont offert à la Cour de cassation l’occasion d’exposer ce conflit au grand jour et de préciser les modalités selon lesquelles s’agencent le principe de loyauté de la preuve et le droit à la preuve. L’Assemblée plénière de la Cour de cassation, réunie pour l’occasion, rend dans l’une des deux affaires une solution de principe, dont elle a entendu assurer une large diffusion avec notamment une publication dans son rapport annuel.

Les faits de l’espèce sont simples. Un employeur avait produit dans le cadre d’une instance prud’hommale où était débattu le caractère réel et sérieux d’une cause de licenciement des enregistrements réalisés à l’insu du salarié. La cour d’appel saisie de la contestation s’était appuyée sur la jurisprudence de la Cour de cassation pour conclure à l’irrecevabilité de ces preuves du fait de leur caractère déloyal. Dans la configuration de la déloyauté, il était jusque-là admis par la jurisprudence que l’invocation du droit à la preuve n’était d’aucun secours pour celui qui tentait de faire admettre la preuve litigieuse.

L’Assemblée plénière revient sur cette solution en opérant un revirement de jurisprudence. À grand renfort de motivation enrichie, de références à la CEDH, à sa jurisprudence et même à des arguments doctrinaux, la Cour de cassation affirme sa nouvelle position. Elle considère que « désormais que, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats ». Les preuves déloyales ou illicites ne sont donc plus irrecevables en elles-mêmes. Si cette solution prévalait déjà pour les preuves illicites, elle est novatrice en ce qui concerne les preuves déloyales.

Une fois cette prémisse posée, la Cour explicite les conditions de recevabilité des preuves illicites ou déloyales et offre ainsi un mode d’emploi aux juges du fond et aux justiciables. Désormais, « Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. ».

L’on reconnaît ici les rouages d’un « contrôle de proportionnalité », une méthode en développement constant, notamment sous l’influence de la CEDH.

Si elle passe avec succès ce contrôle, une preuve déloyale pourra donc être admise. En l’espèce, la cour d’appel de renvoi devra donc vérifier si l’enregistrement clandestin constituait le seul moyen à la disposition de l’employeur pour prouver la faute alléguée et, ensuite, si l’atteinte à la vie privée que constitue cet enregistrement était strictement proportionnée au but poursuivi, qui – on peut le supposer – est la constitution de la preuve.





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