ARTICLES

Revirement de jurisprudence relatif à la prise en compte des évolutions de la jurisprudence


19 avril 2021
Par Madame Cécile GRANIER
Maître de conférences en droit privé, Université Jean Moulin Lyon III.



 

  • Cass. Ass. Plén., 2 avril 2021, n°19-18814

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a rendu début avril un important arrêt signant un revirement de sa jurisprudence quant à la prise en compte des évolutions de la norme, tel que par exemple un revirement de jurisprudence, lorsqu’un pourvoi est formé contre la décision d’une juridiction de renvoi qui s’est conformée à une décision de la Cour de cassation rendue en amont.

Dans son arrêt adoptant la forme de la « motivation enrichie », l’Assemblée plénière expose l’état de la jurisprudence antérieure. Depuis un arrêt de chambre mixte du  30 avril 1971, la Cour de cassation juge « qu’un moyen visant une décision par laquelle la juridiction de renvoi s’est conformée à la doctrine de l’arrêt de cassation est irrecevable ».

En l’absence de résistance de la cour d’appel de renvoi, les moyens de cassation sont irrecevables.

Cette irrecevabilité était affirmée « peu important que, postérieurement à l’arrêt qui a saisi la juridiction de renvoi, la Cour de cassation ait rendu, dans une autre instance, un arrêt revenant sur la solution exprimée par l’arrêt saisissant la juridiction de renvoi ».

En somme peu importe qu’un revirement de jurisprudence soit intervenu entre la décision de la Cour de cassation et le pourvoi formé contre la décision de la juridiction de renvoi.

Dans l’affaire ayant donné lieu à la décision du 2 avril, la configuration était exactement celle-ci. Un salarié avait intenté une action en justice contre son employeur pour discrimination salariale.

En appel, il avait formé une demande de réparation du préjudice d’anxiété qu’il alléguait avoir subi du fait de son exposition à l’amiante dans le cadre professionnel. Si la Cour d’appel avait fait droit à cette demande, la Cour de cassation avait cassé sa décision, excluant l’indemnisation du salarié.

Cette cassation était motivée par l’absence de vérification de l’inscription des établissements dans lequel le salarié avait été affecté sur la liste des établissements éligibles au dispositif de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (ACAATA).

À cette date-ci (en 2016), l’indemnisation du préjudice d’anxiété n’était ouverte qu’au salarié ayant travaillé sur des sites inscrits sur la liste. Or, par une décision du 5 avril 2019, (Ass. Plén., 5 avril 2019, pourvoi n° 18-17.442), la Cour de cassation a opéré, selon ses propres termes, « un revirement de jurisprudence », et a admis que le préjudice d’anxiété pouvait être réparé sur le fondement du droit commun, sans que le salarié ne figure nécessairement sur la liste des sites ACAATA.

Le salarié a alors formé un pourvoi contre la décision rendue sur renvoi après cassation par la Cour d’appel de Paris qui s’alignait sur la décision de la Cour de cassation et refusait donc l’indemnisation.

Si, pour traiter le pourvoi, la Cour avait appliqué sa jurisprudence de 1971, le moyen parce qu’il visait « une décision par laquelle la juridiction de renvoi s’est conformée à la doctrine de l’arrêt de cassation » aurait été irrecevable, et ce peu important le revirement de jurisprudence intervenu entre temps.

L’Assemblée plénière saisit toutefois l’occasion qui lui était offerte de revenir sur sa jurisprudence. Elle affirme que la « prise en considération d’un changement de norme, tel un revirement de jurisprudence, tant qu’une décision irrévocable n’a pas mis un terme au litige, relève de l’office du juge auquel il incombe alors de réexaminer la situation à l’occasion de l’exercice d’une voie de recours. ».

Au nom de « l’exigence de sécurité juridique », de « l’effectivité de l’accès au juge », de « l’égalité de traitement entre des justiciables placés dans une situation équivalente » et enfin de « la cohérence et l’unité de la jurisprudence », le moyen est donc jugé recevable.

En application de la jurisprudence du 5 avril 2019, l’arrêt est cassé, ouvrant ainsi la porte à une indemnisation du préjudice d’anxiété du salarié devant la cour d’appel de renvoi.





LES AVOCATS ALTA-JURIS