La volonté sénatoriale de proposer un projet de réforme de la responsabilité civile contenant seulement les mesures faisant consensus conduit à l’abandon de plusieurs modifications du droit positif pourtant retenues par le projet de la chancellerie du 13 mars 2017.
À ce titre, est notamment remise à plus tard la réforme – sur le fond et la forme – du régime d’indemnisation des accidents de la circulation. Dans le projet de la chancellerie, il était proposé d’intégrer dans le Code civil les dispositions de la loi Badinter, figurant à ce jour directement dans la loi du 5 juillet 1985.
Sur le fond, il était également proposé d’étendre ce régime spécifique de responsabilité aux accidents impliquant des chemins de fer ou un tramway et, surtout, de mieux indemniser le conducteur victime de l’accident (qui peut actuellement se voir opposer sa faute simple pour réduire son indemnisation – art. 4).
Selon l’exposé des motifs de la proposition de loi, il s’agit là de « modifications importantes qui méritent un texte et un débat spécifiques », ce qui explique la non-reprise de ces propositions dans le texte.
Une autre mesure est également abandonnée : il s’agit de la possibilité de condamner l’auteur d’une faute lucrative au paiement d’une somme supérieure au dommage causé. L’une des propositions les plus discutées du projet de réforme de la chancellerie se trouvait à l’article 1266-1 alinéa 1 rédigé de la façon suivante : « En matière extracontractuelle, lorsque l’auteur du dommage a délibérément commis une faute en vue d’obtenir un gain ou une économie, le juge peut le condamner, à la demande de la victime ou du ministère public et par une décision spécialement motivée, au paiement d’une amende civile ».
La formule de l’amende civile avait été préférée par la chancellerie à celle des dommages et intérêts punitifs préconisés par le projet Catala-Viney (2005) afin de ne pas contrevenir au principe de réparation intégrale du dommage.
L’amende est en effet versée à un fonds d’indemnisation ou au Trésor public tandis que les dommages et intérêts sont versés à la victime du dommage.
Au regard des incertitudes entourant la mise en œuvre et la constitutionnalité de cette mesure, la mesure n’est pas reprise dans la proposition de loi sénatoriale qui abandonne donc l’idée d’une sanction de la faute lucrative.
Sont également abandonnées la définition d’une faute spécifique à la personne morale (article 1242-1), la possibilité de retenir la responsabilité de plusieurs personnes en cas de dommage corporel causé « par une personne indéterminée parmi des personnes identifiées de concert ou exerçant une activité similaire » (article 1240 du projet de la Chancellerie) ou encore, dans le cadre de la responsabilité des produits défectueux, l’impossibilité d’invoquer le risque de développement (c’est-à-dire le fait que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment le produit a été mis en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut – art. 1245-10 4°) en cas de dommage causé par des produits de santé.
L’importance des reculs constatés et la perte corrélative d’ambition de la réforme de la responsabilité civile expliquent l’accueil plutôt réservé de la proposition de loi par la doctrine (voir notamment A. DENIZOT, « Pour une vraie réforme de la responsabilité civile », RTD civ. 2020, p. 958 ; M. Bacache, « Responsabilité civile : une réforme a minima ? », JCP G, n°38, 14 septembre 2020, 1007 »).
D’autant plus que, si selon les sénateurs, il ne semble s’agir que d’une remise à plus tard de la discussion, le morcellement d’une réforme de la responsabilité civile peut faire craindre un abandon pur et simple des sujets identifiés comme bloquants.