ARTICLES

Revente d’ebooks d’occasion : la distinction entre les livres matériels et les livres numériques


22 janvier 2020
Par Annabel QUIN
Maître de conférences à l’Université de Bretagne-Sud
Ancienne avocate au Barreau de Paris



Arrêt rendu le 19 décembre 2019 (aff. C-263/18) par la Cour de Justice de l’Union  Européenne : 

Dans un arrêt rendu le 19 décembre 2019 (aff. C-263/18), la CJUE, saisie d’une question préjudicielle par le tribunal de La Haye, vient préciser le régime juridique de la revente d’occasion d’ebooks par un site internet.

Pour la CJUE, le régime juridique applicable n’est pas le même selon qu’il concerne un livre matériel (qui relève du droit de distribution de l’auteur) ou un livre électronique (qui relève du droit de communication).

En effet, le droit de distribution est défini par le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (que la directive 2001/29 transpose en droit communautaire) comme le droit exclusif des auteurs d’autoriser la mise à la disposition du public de l’original et d’exemplaires de leurs œuvres, dans le cadre d’un transfert définitif de propriété ou d’une location.

Or, la CJUE relève que dans les déclarations communes concernant ces dispositions, seuls sont visés « les exemplaires fixés qui peuvent être mis en circulation en tant qu’objets tangibles », de sorte que le droit de distribution ne s’applique pas aux livres électroniques.

Ces derniers relèvent en revanche du droit de communication au public d’une œuvre.

En effet, selon l’exposé des motifs de la proposition de directive sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information du 10 décembre 1997, à l’origine de la directive 2001/29, le droit de communication s’applique aux actes de transmission interactive à la demande, y compris « lorsque plusieurs personnes non liées, membres du public, sont susceptibles d’avoir individuellement accès, de lieux différents et à des moments différents, à une œuvre qui est accessible au public sur un site Internet ».

Autrement dit et comme l’explicite la CJUE, la notion de « communication au public » « couvre toute transmission ou retransmission d’une œuvre au public non présent au lieu d’origine de la communication, par fil ou sans fil (Considérant 62).

La distinction entre ces deux types de droits est importante, d’une part, d’un point de vue théorique, dans la mesure où elle distingue clairement le régime des œuvres de l’esprit de celui applicable aux programmes d’ordinateurs (régi par la directive 2009/24), lequel ne fait aucune distinction selon que le support est matériel ou immatériel (V. not. CJUE, 3 juillet 2012, UsedSoft, aff. C-128/11).

La CJUE estime que la distinction en fonction du support, qui vaut pour les livres, est fondée d’un point de vue économique et fonctionnel : « les copies numériques dématérialisées, à l’inverse des livres sur un support matériel, ne se détériorent pas avec l’usage, de sorte que les copies d’occasion constituent des substituts parfaits des copies neuves.  En outre, les échanges de telles copies ne nécessitent ni effort ni coût additionnels, de sorte qu’un marché parallèle de l’occasion risquerait d’affecter l’intérêt des titulaires à obtenir une rémunération appropriée pour leurs œuvres de manière beaucoup plus significative que le marché d’occasion d’objets tangibles, en méconnaissance de l’objectif » de ladite directive, qui est « d’instaurer un niveau élevé de protection en faveur des auteurs, permettant à ceux-ci d’obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs œuvres, notamment à l’occasion d’une communication au public ».

La distinction entre ces deux types de droit (distribution/communication au public) est également importante, d’autre part, du point de vue de la question de l’épuisement des droits : alors que le droit de distribution s’épuise après la première mise en circulation du bien matériel, il n’en est rien du droit de communication au public.

Autrement dit, l’autorisation de l’auteur n’est pas nécessaire pour revendre un bien matériel (un livre) une fois que celui-ci a autorisé sa première mise en circulation, alors que cette autorisation est indispensable pour procéder à une nouvelle communication au public (art.3 §3 de la directive 2001/29 préc.).

 

 

Mise en ligne:  22/01/2020

 





LES AVOCATS ALTA-JURIS