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Contrôle de la conformité au droit de l’Union européenne de la réglementation relative à la conservation des données de connexion


10 mai 2021
Par Madame Cécile GRANIER, Maître de Conférences en droit Privé à l'Université Jean Moulin LYON III.



Le 21 avril dernier, le Conseil d’État a rendu dans sa formation la plus solennelle une décision qui était particulièrement attendue à propos de la conservation des données de connexion par les opérateurs de télécommunications.

Cette décision fait suite à la saisine du Conseil d’État par plusieurs associations luttant pour la protection des données personnelles et par un opérateur de télécommunications critiquant la conformité au droit de l’Union européenne du régime français de conservation des données de connexion.

Les demandeurs avançaient en effet que les textes réglementaires prévoyant pour les opérateurs de télécommunications une obligation de conservation de ces données pendant un an afin de lutter contre la criminalité et le terrorisme étaient contraires au droit de l’Union européenne.

L’avis du Conseil d’État sur la question était attendu pour deux raisons, l’une de fond, l’autre procédurale.

Sur le fond, tout d’abord, la saisine du Conseil d’État avait donné lieu à une question préjudicielle débouchant sur des décisions remarquées de la CJUE le 6 octobre 2020 (aff. C-623/17, C-511/18 et C-512/18).

Cette dernière y a condamné la conservation généralisée des données et l’a restreinte à certaines hypothèses spécifiques : en cas de menace grave à la sécurité nationale et, sous certaines conditions, pour lutter contre la criminalité grave.

Aucun autre motif ne peut donc, au regard du droit de l’Union européenne, justifier une conservation de ces données. Pour le Conseil d’État, il s’agissait donc de vérifier la conformité de la réglementation nationale au regard du droit de l’Union européenne, tel qu’interprété par la CJUE dans ses décisions récentes.

Ensuite, la décision était attendue car le Gouvernement avait demandé au Conseil d’État de réaliser un contrôler ultra vires de la décision de la CJUE, c’est-à-dire de vérifier que cette juridiction n’était pas allée au-delà des compétences qui lui ont été attribuées par les traités.

Sur ce dernier point, la réponse du Conseil d’État est claire. Selon les termes du communiqué de presse  « …contrairement à ce qu’avait demandé le Gouvernement, il refuse de contrôler que les organes de l’Union européenne, et notamment de la CJUE, n’ont pas excédé leurs compétences (..) ».

Comme on a pu le souligner, par cette décision, le Conseil d’État refuse d’amorcer une « guerre des juges » (M.-C. De Montecler, D. actu., 26 avril 2021)

Sur le fond, le Conseil d’État sauve l’essentiel de la réglementation française en jugeant que l’obligation de conservation généralisée des données de connexion imposée aux opérateurs de télécommunications répond bien à une menace pour la sécurité nationale et est donc conforme au droit de l’Union européenne. Il impose toutefois au Gouvernement de réévaluer périodiquement cette menace.

Une telle conservation généralisée est toutefois jugée illégale en ce qui concerne la poursuite des infractions pénales et seules certaines méthodes visant à lutter contre la criminalité grave sont validées.

Enfin, concernant l’accès aux données par le renseignement, le Conseil d’État impose une révision des règles afin de les soumettre au contrôle préalable et obligatoire d’une autorité indépendante conformément au droit de l’Union européenne.

Le cheminement du Conseil d’État pour en arriver à une telle conclusion est notable et a été remarqué. La plus haute juridiction administrative ne se contente pas de confronter directement la décision de la CJUE au droit national.

Elle vérifie, en premier lieu, que cette décision est bien conforme à la Constitution en rappelant que ce texte constitue « la norme suprême du droit national ». Selon le Conseil, dès lors que certains objectifs constitutionnels ne bénéficient pas d’une protection équivalente par le droit de l’Union européenne et par la Constitution – ce qui est le cas en l’espèce – il est nécessaire de vérifier que l’application du droit de l’Union européenne ne compromet pas ces objectifs constitutionnels.

Cette décision illustre ainsi un dialogue des juges dans lequel le Conseil d’État, à l’occasion d’un contrôle de conventionnalité, se fait le porte-voix de la Constitution !





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